Charlie Hebdo : “Face à la violence, il ne suffit pas d’affirmer que l’islam la dénonce”
Razika Adnani revient sur la condamnation de la nouvelle publication des dessins de “Charlie Hebdo” par l’observatoire d’al-Azhar, la plus haute institution de l’islam sunnite. Elle pointe la responsabilité du refus des responsables religieux de faire évoluer leur discours. Marianne
Pour lire l’article en arabe traduction MCD doualya
Dans un communiqué publié le mercredi 2 septembre, l’observatoire d’al-Azhar, la plus haute institution de l’islam sunnite, a réagi à la nouvelle publication des dessins de Charlie Hebdo qu’il a qualifiée de crime. Pour lui, les dessins portent atteinte au prophète de l’islam et exacerbent le ressentiment religieux des musulmans. Il exhorte la communauté internationale à prendre une position ferme contre les atteintes aux symboles sacrés de l’islam. Certes, le communiqué a condamné les attentats de 2015.
Cependant, quel est l’intérêt de le faire s’il considère que cette nouvelle publication des caricatures est un crime et s’il attribue une légitimité au massacre ? Comment peut-on lutter contre la violence si l’on pense que le méchant c’est toujours l’autre et si l’on lui demande de renoncer, dans son propre pays, à ses valeurs comme condition pour une paix possible ?
Les manquements de l’institution religieuse
Quand on ressent le désir de changer et d’évoluer, on use de tout ce dont nous disposons pour trouver les arguments qui nous permettent de le faire. À travers ce communiqué, l’observatoire d’al-Azhar n’exprime aucun effort dans le sens d’apaiser les esprits. Sinon, il aurait dit aux musulmans que recourir à la violence pour défendre leur prophète ne s’imposait pas s’ils étaient convaincus de ses qualités. Il aurait pu leur dire que ces caricatures ne pouvaient pas ébranler leur foi ni leur donner le sentiment d’être menacés s’ils étaient sûrs de leurs sentiments pour le prophète. Il aurait pu leur dire qu’il ne s’agissait pas d’une attaque contre l’islam, car Charlie caricaturait les trois religions monothéistes.
Quand on ressent le désir de changer et d’évoluer, on use de tout ce dont nous disposons pour trouver les arguments qui nous permettent de le faire
Il aurait pu, en tant qu’institution religieuse, aller plus loin pour dire aux musulmans qui les écoutent qu’ils n’auraient pas à défendre le prophète, car c’est Dieu qui le protège comme le précise le verset 196 de la sourate 7, les Murailles : “Mon protecteur (walii) est Dieu”. Walii signifie mon allié, mon protecteur selon les commentateurs, tels qu’al Kortobi et al-Tabari. Il en est de même pour le Coran. Le verset 9 de la sourate 15, la Vallée des pierres, déclare : “Nous avons fait descendre le rappel (le Coran) et c’est nous qui le protégeons.” Pourquoi les institutions religieuses ne mettent-elles pas ces versets en avant pour tenir un réel discours de paix et contrer la violence ? Certes, il y a d’autres versets qui incitent à la violence. Cependant, quand on est dans une posture de paix et d’amour de son prochain, quand on ressent le désir de changer et d’évoluer, on use de tout ce dont nous disposons pour trouver les arguments qui nous permettent de le faire.
Les responsables religieux auraient pu rappeler le verset 105 de la sourate 5 recommandant clairement à chaque musulman de s’occuper, avant tout, de ses propres affaires : “Ô les croyants vous êtes responsables de vous-mêmes celui qui s’égare ne vous nuira point si vous, vous avez pris la bonne voie.” Elles auraient pu l’utiliser comme appui pour appeler les musulmans à respecter le principe de la liberté individuelle, dont fait partie la liberté d’expression.
Le problème, c’est que ce verset fait partie de ceux que les musulmans ont négligés ou abrogés. Ils ne l’ont pas supprimé du Coran, mais ils n’en parlent pas et ne s’y réfèrent pas, car il s’oppose à d’autres versets et à d’autres règles telle celle recommandant de “dénoncer le mal et ordonner le bien” qui est à l’opposé de la notion de la liberté individuelle. Le discours religieux préfère même le hadith du prophète dans lequel il aurait recommandé à chacun d’intervenir s’il voit le mal pour le changer avec la main, ou avec la parole sinon avec le cœur, et c’est le degré le plus faible de la foi.
Islam et modernité
Cependant, une question se pose, s’il s’agit d’un choix, pourquoi alors ne pas faire aujourd’hui d’autres choix ? Pourquoi les musulmans ne choisissent-ils pas les versets qui leur permettraient de vivre en accord avec les valeurs de la modernité et en bonne harmonie avec les autres ? Même si cela nécessite de les réinterpréter à l’aune des nouvelles valeurs. Pourquoi ne déclarent-ils pas l’abrogation des versets qui posent problème étant donné que cette pratique est connue en islam ? La modernité dont la liberté d’expression est un fondement est certes née en Occident, mais elle est un acquis de l’humanité, un signe de son évolution et de sa maturité. C’est donc aux adeptes de l’islam d’aller vers cette modernité au lieu de demander aux autres d’y renoncer.
La modernité dont la liberté d’expression est un fondement est certes née en Occident, mais elle est un acquis de l’humanité, un signe de son évolution et de sa maturité. C’est donc aux musulmans d’aller vers cette modernité au lieu de demander aux autres d’y renoncer.
Mon propos a comme objectif de démontrer que le problème réside moins dans les textes que dans le manque total de volonté dans le discours religieux de changer ou d’évoluer. Aucun texte ne peut obliger une personne à tuer si elle ne veut pas tuer. L’être humain est capable d’être le maître de ses actes. Ainsi, si les adeptes de l’islam avaient le désir, car la volonté naît du désir, de réformer l’islam et d’adapter leur discours et leurs comportements aux nouvelles circonstances et aux valeurs universelles, ils auraient trouvé des éléments qui leur permettent de légitimer leur démarche y compris au sein du Coran.
Le problème réside moins dans les textes que dans le manque total de volonté dans le discours religieux de changer ou d’évoluer
Face à la violence, il ne suffit pas d’affirmer que l’islam la dénonce. Il faut reconnaître l’existence de textes qui y appellent pour ensuite les déclarer caduques. Il ne suffit pas non plus de demander aux musulmans de France d’ignorer les caricatures de Charlie comme l’a fait le CFCM. C’est certainement une façon d’agir importante pour éviter les actes de violence. Cependant, il faut adhérer au principe de la liberté d’expression comme valeur dont le droit au blasphème fait partie. Y adhérer ne signifie pas être d’accord sur tout ce qui se dit ou se fait, ce serait aller à l’encontre de cette même liberté, mais défendre la liberté d’expression pour que tous puissent exprimer leurs idées. La liberté d’expression, c’est l’affrontement des idées et non des personnes.
Face à la violence, il ne suffit pas d’affirmer que l’islam la dénonce. Il faut reconnaître l’existence de textes qui y appellent pour ensuite les déclarer caduques.
Des obstacles psychologiques forts qu’il est nécessaire de dépasser
Qu’est-ce qui empêche ce désir de se faire sentir ? Est-ce la crainte que l’adhésion à la modernité signifie la reconnaissance de l’Occident comme porteur de valeurs alors que le discours religieux s’est construit depuis plus d’un siècle sur sa diabolisation ? Est-ce parce que cela comporte le risque d’anéantir chez les musulmans un autre désir qui consiste à répandre l’islam, ce qui compromettrait l’idée que toute l’humanité à la fin des temps deviendrait musulmane ? Est-ce parce que la pensée est incapable de s’émanciper du passé ? Ce sont en effet des obstacles psychologiques forts qu’il est nécessaire de dépasser. Razika Adnani
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Le texte a été traduit en arabe par Radio Monté Carlo Internationale
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