De l’objectivité et de la subjectivité dans la lecture des textes coraniques
Par Razika Adnani
Article publié par le quotidien algérien Liberté
Au fil du ramadhan, 7 septembre 2010
Dans ce dernier article du mois de Ramadhan, je reviens sur la problématique de l’interprétation des textes sacrés avec deux questions :
L’interprétation littérale des textes qui reflète “ le naql”, objectivement, le sens exact des textes, est-elle possible ?
Par ailleurs, les musulmans du XXIe siècle peuvent-ils, pour comprendre le Livre sacré, ne s’appuyer que sur l’interprétation d’hommes qui ont vécu dans des temps si lointains ?
J’aimerais, quand je lis les textes du Coran, pouvoir séparer ma langue de ma pensée afin de lire les mots et les versets sans me préoccuper ni m’inquiéter d’un sens que je laisserais préciser aux savants exégètes, “ceux qui sont enracinés dans la connaissance”. J’aimerais obéir ainsi à ceux qui affirment que seuls les savants ont le droit de commenter les textes.
Voilà ce que j’aimerais et ce que je n’ai jamais réussi à faire car je n’ai jamais pu m’empêcher d’utiliser mon intelligence et ma pensée pour chercher le sens des versets et essayer de comprendre le Livre le plus important et le plus signifiant de vie des musulmans. Tout se passe comme si ma pensée soudain me désobéissait et comme si un travail d’entendement se déclenchait en moi en dehors de toute volonté. Le plaisir de tout croyant de lire la parole de Dieu et de se prosterner devant lui ne peut se réaliser que grâce à ce lien moral qui doit exister entre la pensée et les textes.
J’aimerais aussi pouvoir me laisser guider vers le sens des textes coraniques expliqués par les exégètes sans jamais me poser aucune question et ne jamais ressentir le moindre doute ni faire preuve du moindre esprit critique.
Pourtant, je n’ai jamais pu m’empêcher de penser que les savants, même les plus éclairés, ne sont que des êtres humains. Ils ne peuvent être parfaits et leur savoir ne peut être absolu pour la simple raison que seul Dieu, seul être absolu, est parfait. Aussi, quand je me réfère aux livres des exégètes, je trouve rarement les réponses à mes questions, comme si jamais elles n’avaient été posées. Pas plus, je ne trouve chez tous les exégètes les mêmes interprétations sur les mêmes sujets.
A titre d’exemple, je voudrais revenir au verset 11 de la sourate Les femmes dans lequel la part d’héritage de la femme a été définie comme égale à la moitié de celle d’un homme. Ce verset en question se termine comme ceci:« De vos ascendants ou de vos descendants, vous ne savez pas qui est plus près de vous en utilité ». Il précise l’impossibilité de savoir qui de des parents et des enfants serait utile envers les siens. On pourrait penser à une utilité financière puisqu’il s’agit du partage successoral.
Aujourd’hui, à une époque où les hommes et les femmes sont de plus en plus soucieux des inégalités successorales et alors que la responsabilité financière de la femme envers les siens devient de plus en plus évidente et lourde, cette partie de ce verset représente peut-être une solution pour établir une égalité successorale entre les hommes et les femmes.
Mais rien de tout cela n’est mentionné chez les exégètes qui se sont plutôt contentés de se demander s’il s’agissait de l’utilité dans ce monde ici-bas ou dans l’au-delà. D’autres ne parlent que de l’utilité financière du père ou du fils envers leur famille sans aucun mot pour la mère et la fille. Il est clair qu’un commentateur, qui n’a jamais eu dans son champ de perception l’image d’une femme assumant une responsabilité financière envers sa famille, ne peut se demander si ce verset parle également des femmes.
L’interprétation du verset 37 de la sourate La vache : « Puis Adam reçut de son seigneur des paroles et Dieu agréa son repentir car c’est Lui certes qui pardonne, Lui Le Miséricordieux », peut être un autre exemple de cette subjectivité exégétique.
À l’exception de quelques uns comme El-Kourtouby, mort en 1293, El-Thaalibi, mort vers 1507, et El-Alloussi, mort en 1896, qui se sont intéressés à la question de l’absence d’Ève, son nom n’est pas mentionné, dans ce verset, alors qu’elle est citée dans les versets 35 et 36 de la même sourate et les versets 19, 20, 21 et 22 de la sourate El Araf, les autres commentateurs se sont plutôt intéressés à la façon dont Adam avait formulé sa demande de pardon à Dieu.
Dans une culture où la femme est absente, son
absence dans ce verset n’a pas été ni un sujet de questionnement ni de
recherche pour la grande majorité des commentateurs. Sans doute un même
verset peut-il susciter des interrogations différentes et, par
conséquent, des interprétations différentes.
Les siècles, les
distances géographiques, les situations culturelles et psychologiques y
sont certainement pour beaucoup. Souvent, l’interprétation découle tout
simplement d’une idée ancrée dans la pensée et la culture des
commentateurs. Rares sont ceux qui arrivent à se distancier, à poser
d’autres questions pour proposer une autre vision et une autre
compréhension des textes.
En conclusion, un commentaire ne peut exister indépendamment du commentateur qui est un être humain approchant les textes avec toute sa complexité psychologique, sociologique, géographique et morale. Le reflet littéral objectif du sens des textes coraniques dépourvu de toute influence du commentateur n’existe pas.
C’est la raison pour laquelle interpréter le Coran selon la compréhension d’hommes qui ont vécu si loin de nous, c’est condamner le Coran à rester lié à un milieu culturel, psychologique et géographique qui n’est plus le sien et condamner les musulmans à vivre leur religion dans un contexte qui n’est plus le leur.