« Le “féminisme islamique” a beaucoup affaibli le combat des femmes pour leur droits dans le monde musulman »Entretien de Razika Adnani accordé à Women Today
Entretien accordé à Women Today
Propos recueillis par Michael John Dolan
Première question : Bonjour Razika Adnani, avant de parler du féminisme arabe, entrons dans le vif du sujet et pouvez-vous nous confirmer que l’Islam est empreint de valeurs émancipatrices pour les femmes et ne s’oppose pas à leurs droits ?
Razika Adnani : Je précise qu’il n’y a pas que le féminisme arabe. Il y a également un féminisme maghrébin. Quant à l’idée selon laquelle l’islam est empreint de valeurs émancipatrices pour les femmes, elle est très répandue parmi les musulmans ainsi que les non-musulmans. Elle représente la position du discours religieux qui affirme que la femme arabe avant l’islam n’avait aucun droit ni statut social et que c’est l’islam qui lui a accordé tous ses droits. Le partage en matière d’héritage est celui que le discours religieux cite souvent comme argument.
Il raconte qu’avant l’islam la femme arabe en était totalement privée et que c’est l’islam qui lui a reconnu une part dans les biens des parents. Elle est certes égale à la moitié de celle qui revient à l’homme, mais c’est une considérable évolution et, d’autre part, c’est un partage qui est équitable, car il correspond au rôle naturel de l’homme et de la femme au sein de la société. Même chose concernant la polygamie. Pour eux, l’homme avant l’islam avait droit à plusieurs femmes et c’est l’islam qui a limité cette pratique à quatre femmes, ce qui est également une grande évolution dans le statut des femmes arabes.
Cette image de la femme arabe avant l’islam reprise par tous les historiens musulmans se heurte à la biographie de Khadija, première épouse du prophète, telle qu’elle est relatée par les religieux eux-mêmes. Ils racontent qu’elle était, avant l’islam, une commerçante très fortunée. Veuve et mère de plusieurs enfants, elle a demandé Mahomet, un jeune homme de 25 ans, en mariage alors qu’elle en avait entre 35 et 40. Tous les biographes du prophète Mahomet et de Khadija racontent que celle-ci a hérité sa fortune de ses premiers époux, ce qui signifie que la femme arabe avant l’islam avait droit à l’héritage et qu’elle n’était pas dépourvue de tout droit juridique et social contrairement à ce que racontent les religieux. C’est une preuve aussi que les hommes n’étaient pas toujours ceux qui disposaient de l’argent et le dépensaient pour entretenir les femmes comme le racontent tous les musulmans en s’appuyant sur le verset 34 de la sourate 4, Les Femmes. Mahamed, devenu prophète à 40 ans, était entretenu par Khadija durant les années de vie qu’il a partagées avec elle. Il est important de rappeler que le prophète n’a été polygame qu’après la mort de Khadija.
La question qui se pose : Khadija était-elle la seule femme dans cette situation ? Et bien non. L’histoire de l’Arabie de l’époque de la révélation évoque les noms d’autres femmes puissantes, telle que l’épouse de l’oncle du prophète Abou Lahab, dont le Coran parle sans citer son nom, qui détenait un réel pouvoir social et politique, Hind Bint Utba épouse d’Abou Sofiane qui était une grande femme de pouvoir qu’elle exerçait aux côtés de son mari. Des femmes cheffes de tribus et reines, l’Arabie avant l’islam en a connues. Les femmes arabes à l’aube de l’islam n’étaient pas effacées socialement ni politiquement. Bien au contraire, elles jouissaient d’une situation beaucoup plus intéressante en matière de droits que ce que les religieux, des hommes, racontent.
Un autre point important que j’aimerais souligner, c’est que la société arabe, au VIIe siècle quand l’islam est arrivé, vénérait des déesses qui avaient leurs statues à la Kaaba : Manat, l’Allat et al-Uzza. C’était donc une société qui vénérait la féminité. Il est difficile de croire qu’une société qui vénère la féminité n’accorde aucun statut social à la femme.
La représentation de la femme avant l’islam par le discours religieux a un objectif : que les femmes ne revendiquent aucun autre droit que ceux inscrits dans la charia mais aussi qu’elles soient reconnaissantes de ce qu’elle leur a accordé.
Deuxième question : Le féminisme arabe est-il né d’un mouvement nationaliste qui s’opposait au colonialisme occidental ?
Razika Adnani : Le féminisme arabe tout comme le féminisme maghrébin sont nés au sein de la Nahda, terme qui est traduit souvent par renaissance, et non du nationalisme arabe. Le terme Nahda vient du verbe nahada qui signifie se lever ou se relever. La Nahda est un mouvement de modernisation des sociétés musulmanes qui se situe entre le début XIXe siècle et la fin de la première moitié du XXe siècle. Il concernait tous les domaines : la littérature, la culture, la société et la politique.
C’est la période où le monde musulman essayait de se relever après plusieurs siècles de décadence. Le mouvement féministe est né lorsque les penseurs et les politiques qui ont porté ce mouvement, dont beaucoup étaient des chrétiens libanais, ont réalisé qu’ils ne pouvaient pas émanciper leur société sans que la situation de la femme change. Les femmes étaient totalement exclues des domaines culturel, politique et social.
Le mouvement nationaliste est né au début du XXe siècle alors que le féminisme est bien plus ancien. A titre d’exemple, je peux citer Aïcha Taymour née en 1840 et morte en 1902, qui était une femme de lettre et une féministe égyptienne. Elle a, en 1892, écrit Miroir de la contemplation dans la situation (de la femme). Bien au contraire, beaucoup de nationalistes, qui étaient des conservateurs, ont utilisé l’argument du colonialisme comme moyen pour contrer la modernisation des sociétés musulmanes et donc, par la même, pour affaiblir le féminisme dans le monde arabe et au Maghreb. Ils ont accusé les modernistes, ainsi que les féministes, de vouloir ressembler aux Occidentaux. L’accusation de l’occidentalisation était alors très répandue.
Aujourd’hui encore, beaucoup, d’Algériens et de Français affirment que les Algériennes qui ont abandonné leur voile avant l’indépendance étaient influencées voire poussées et forcées par les Français, notamment pendant la guerre d’indépendance. Or, les femmes dans tout le monde musulman ont commencé à abandonner leur voile bien avant la guerre d’Algérie. C’est lors de la première moitié du XXe siècle, exactement en 1928, que la Libanaise Nazira Zayn al-din(1908- 1976) a écrit Le voile et le dévoilement dans lequel elle appelait les femmes à abandonner le port du voile. En 1942, la Syrienne Thuraya al-Hafez (1911-2000) a conduit une marche de protestation d’une centaine de femmes jusqu’au siège du gouvernement, où elles ont enlevé leur voile. L’Algérie était certes colonisée mais pas coupée du monde. Elle faisait partie, culturellement et historiquement, du monde musulman et de ses bouleversements et les Algériennes qui ont abandonné leur voile l’ont fait car elles aussi le considéraient comme une pratique d’oppression et une discrimination et voulaient se libérer des pratiques ancestrales humiliantes pour la femme.
Troisième question : Étonnamment, les hommes semblent avoir une place prédominante dans la lutte pour le féminisme et je pense à Tahar Haddad, aux présidents Nasser et Bourguiba notamment. Les premiers réformistes féministes étaient-ils des hommes ?
Razika Adnani : Le féminisme contemporain est né lorsque les États et sociétés qui ont adopté le principe des droits humains n’ont pas reconnu aux femmes les mêmes droits qu’aux hommes. Dans le monde musulman, les États qui ont reconnu l’égalité de tous les citoyens n’ont pas considéré la relation femme/homme comme faisant partie de ce principe d’égalité et ont également continué à soumettre les femmes à une situation d’infériorité. Le féminisme est la partie qui manquait à l’humanisme sur le plan pratique.
Logiquement, les premiers féministes sont des femmes, car, le féminisme c’est la lutte pour le droit des femmes d’avoir les mêmes droits que les hommes et il ne peut y avoir plus sensible que la femme elle-même pour ressentir la douleur d’être discriminée. La réalité historique montre que les féministes femmes dans le monde musulman ont été très actives à la fin du XIXe° siècle et tout au long de la première moitié du XX° siècle. J’ai précédemment cité les noms de certaines d’entre-elles, même si je ne suis pas en accord avec leur façon de procéder on ne peut nier leur rôle dans le combat pour les droits des femmes.
Le problème, c’est que l’Histoire ne retient pas ou très peu les noms des femmes. Encore aujourd’hui, l’Histoire parle surtout des hommes. L’ouvrage « Les nouveaux penseurs de l’islam », de Rachid Benzine, n’évoque que des hommes, pas une seule femme. Nazira Zayn al-din(1908- 1976 avec son Le voile et le dévoilement a par exemple tout à fait sa place parmi les nouveaux penseurs de l’islam. Évidemment, il y a eu également des hommes féministes comme Tahar Haddad qui a été exceptionnel dans son combat pour les droits des femmes, il fait partie des rares qui ont revendiqué l’égalité entre les femmes et les hommes dans le monde musulman où la majorité se sont contentés de l’émancipation en excluant totalement l’idée de l’égalité. Aujourd’hui, beaucoup veulent remplacer l’égalité par l’équité.
Concernant le président Bourguiba, il a introduit dans la constitution de son pays en 1959 la référence à l’islam comme religion de l’État comme c’était le cas dans tous les pays musulmans hormis la Turquie. Or, cette référence à l’islam au sein des constitutions des pays musulmans a été l’obstacle contre lequel s’est heurtée la Nahda dans le domaine politique. Alors que la modernisation de l’organisation de l’État, autrement dit en finir avec le système traditionnel où le pouvoir s’exerçait au nom de la religion, était un des objectifs des réformes du XXe siècle. Cette référence à l’islam au sein de la constitution tunisienne, mais aussi de beaucoup d’autres pays musulmans, signifie que l’État ne s’était pas émancipé de la religion autrement dit du système traditionnel. Elle a également été une porte ouverte à l’introduction de plus de religion dans le système juridique. Ainsi, en 1971 l’Égypte a supprimé la liberté de croyance de son texte constitutionnel qui y était inscrite depuis 1923 et a mentionné la charia comme source de législation, ce qui est un grand retour en arrière et un renoncement aux acquis de la Nahda. La liberté de conscience a été supprimée de la constitution algérienne en 2020. Dans tous les pays musulmans, bien qu’ils aient aboli beaucoup de règles de la charia pour se moderniser, comme l’esclavage et le système de la dhimmitude, les législateurs ont soumis les femmes aux règles de la charia. La référence à l’islam au sein des constitutions leur a servi d’argument.
Lire : La référence à l’islam et l’échec du système constitutionnel au Maghreb. Razika Adnani
Bourguiba a été certes le seul dans le monde musulman arabe ou arabophone à avoir aboli la polygamie. Cependant, malgré toutes ses actions en faveur de la modernité et de l’émancipation de la femme, il a inscrit dans le code personnel tunisien d’autres règles de la charia qui discriminent les femmes telles que les inégalités successorales. Ces hommes, tels que Bourguiba et Nasser, qui ont eu le pouvoir à cette époque-là portent une grande part de responsabilité dans l’échec de la Nahda et par conséquent du féminisme. Aujourd’hui, les femmes non seulement n’ont pas accédé à l’égalité en droits avec les hommes, mais aussi leurs acquis sont menacés.
Quatrième question : Comment la guerre des six jours en 1967 fut-elle une date importante et funeste pour le féminisme arabe ?
Razika Adnani : Il faut savoir qu’en 1967 la Nahda était déjà en situation d’échec et c’était par là même l’échec du féminisme dans le monde musulman. Cette guerre des six jours fut-elle un facteur aggravant ? Oui, évidemment, étant donné qu’elle a été utilisée comme un argument par les conservateurs contre les modernistes. Cependant, les facteurs politiques et géopolitiques, : la colonisation, la création de l’État d’Israël en 1948 et la défaite des pays arabes en 1967 face à Israël, n’ont pas été les causes de l’échec du féminisme, mais ils ont été des arguments inespérés pour les islamistes et les conservateurs dans leur combat contre les modernistes et par conséquent contre les féministes. Ils ont persuadé les populations que c’est parce qu’elles se sont éloignées de l’islam qu’elles ont été accablées par ces défaites et ils les ont appelés à revenir à l’islam vrai, celui des premiers musulmans, au conservatisme. La pression était exercée davantage sur les femmes.
En 1928, les conservateurs ont créé en Égypte la Confrérie des Frères musulmans pour mieux s’organiser dans leur lutte contre la modernisation. Un de leurs projets était de soumettre les femmes à nouveau au port du voile. Ils ont décidé d’utiliser le voile comme arme dans leur lutte contre les modernistes. Le port du voile par les femmes a été le premier aspect de l’échec du féminisme dans le monde musulman, car le voile est fondamentalement discriminatoire à l’égard des femmes et les femmes qui portent le voile au nom de la charia ne revendiquent pas l’égalité. Elles sont persuadées que les règles de la charia doivent être appliquées, car inscrites dans le Coran. En réalité, les musulmans ne mettent pas en pratiquent toutes les recommandations coraniques.
Cinquième question : Quelle fut et / ou quel est encore l’influence des pays du Golfe sur le féminisme arabe ?
Razika Adnani : Les pays du Golfe ont toujours été des exportateurs du conservatisme et cela dès les premiers siècles de l’islam. L’islam est né en Arabie et c’est de l’Arabie, exactement de Médine, que la riposte a été lancée contre les libres penseurs basés notamment en Irak, la capitale de la civilisation musulmane entre le VIIIe siècle et le Xe siècle. Quand on regarde l’histoire du monde musulman, celle du XIXe siècle et du début du XXe siècle, on réalise que la péninsule arabique était la région du monde musulman la moins concernée par la Nahda.
En 1948, quand la Déclaration universelle des droits de l’Homme a été votée par l’ONU, l’Arabie Saoudite n’a pas ratifié cette déclaration et le Yémen n’a pas pris part au vote. Sept autres États musulmans membres de l’ONU ont en revanche voté cette déclaration. La position des pays du Golfe s’explique par le fait qu’ils sont d’obédience wahhabite.
Le Wahhabisme représente l’islam le plus conservateur et le plus rigoriste. Bien que, ces dernières années, on constate un changement concernant notamment la condition des femmes saoudiennes et cela depuis l’arrivée du prince héritier Mohammed ben Salmane qui a reconnu à la femme certains droits. Cependant, il n’a pas jusque-là touché aux règles de la charia telles que la polygamie ou les inégalités successorales. Ce qu’il a changé, ce sont des règles de la jurisprudence liées davantage aux traditions de la société saoudienne, ce qu’on appelle dans le langage juridique islamique le fiqh qui interdisait aux femmes de travailler et de conduire une voiture.
De plus en plus, cette conception du féminisme est revendiquée par des hommes, mais aussi par des femmes dans tous les pays musulmans : s’émanciper dans le cadre des limites tracées par la charia. C’est ce que revendiquent la majorité de celles qui se veulent des féministes aujourd’hui ou des “féministes islamiques”. Elles revendiquent le droit des femmes de sortir de la maison, d’aller à l’université, de travailler tout en respectant les règles de lacharia qui sont pourtant discriminatoires à l’égard des femmes, ce qui s’oppose totalement au sens du terme féminisme. L’Arabie Saoudite et le Qatar qui ont fourni de grands efforts pour exporter le wahhabisme ont certainement une grande part de responsabilité dans l’échec du féminisme dans le monde musulman. Aujourd’hui, de plus en plus les femmes musulmanes ne revendiquent pas leur droit d’avoir les mêmes droits que les hommes.
Sixième question : Les féministes du monde arabe se battent pour leurs droits, sur le plan juridique, sur le plan socio-économique mais parler du corps et du sexe est extrêmement difficile. Ne pensez-vous pas que tant qu’on n’abordera pas ces questions, on n’abordera pas le cœur de la condition des femmes ?
Razika Adnani : Bien au contraire, que ce soit dans le monde arabe ou au Maghreb, on parle beaucoup du corps de la femme et de la sexualité. Ce sont mêmes deux sujets parmi les plus répandus et préférés des conservateurs et du discours religieux y compris au sein des mosquées. Leur principe : « pas de honte en religion « qui signifie que les sujets concernant le corps de la femme et la sexualité font partie de la religion et en religion, on a le droit de tout dire.
La question est donc de savoir pour quelles raisons et dans quel objectif parle-t-on du corps de la femme et de la sexualité ? On parle du corps de la femme parce qu’on veut le maîtriser. On parle de la sexualité de l’homme, qu’il ne maîtriserait pas, et du corps de la femme, qui susciterait le désir sexuel de l’homme, pour convaincre que le corps de la femme est dangereux pour la société, pour la morale et pour la famille et pourquoi il est nécessaire de le contrôler, de le voiler et de l’enfermer.
Si aborder les sujets du corps et de la sexualité est nécessaire, les musulmans doivent changer leur discours à leur sujet. Pour rappeler que le corps de la femme appartient à la femme. Que la femme ainsi que l’homme ne sont pas que des corps, mais des êtres humains possèdant un esprit et une volonté qui leur permettent d’être maîtres de leur comportement et de leurs actes. Il faut tenir un autre discours qui apprend le respect du corps d’autrui comme faisant partie de l’intimité de la personne même quand ce corps s’invite dans l’espace extérieur.
Ces questions concernant le corps, non seulement celui de la femme mais aussi de l’homme, sont au coeur des problèmes des sociétés musulmanes.
Septième question : Aujourd’hui, certains parlent de “féminisme islamique”. Cette appellation vous semble-t-elle erronée ?
Razika Adnani : Le “féminisme islamique” est une appellation qui vient du fait que beaucoup de femmes et d’hommes musulmans revendiquent l’émancipation de la femme et certains réclament même l’égalité entre les hommes-femmes mais inscrivent leur revendication au sein de l’islam et dans le cadre de ses recommandations. Et ce sont les féministes islamiques elles-mêmes qui revendiquent cette appellation. Les féministes islamiques se disent vouloir un féminisme issu de l’islam et non imposé par l’Occident.
Si beaucoup de ces “féministes islamiques” ne revendiquent pas l’égalité, car pour elles il s’agit d’un principe qui n’est pas conforme à l’islam, celles qui se disent pour l’égalité, entre les hommes et les femmes sont confrontées à la réalité des textes où les règles qui concernent la relation hommes/ femmes discriminent les femmes. Pour sortir de ce dilemme, elles prônent l’idée que ces discriminations ne sont dues qu’aux interprétations masculines erronées et que dans les textes il y a aucune inégalité. Ainsi, pour les féministes islamique, la réinterprétation est la solution pour que les femmes musulmanes accèdent à l’égalité.
Je me suis intéressée aux réinterprétations que certaines proposent, notamment celles concernant le verset 34 de la sourate 4, Les Femmes, qui affirme l’autorité de l’homme sur la femme. Aucune n’arrive à convaincre que le verset ne met pas les femmes en situation d’infériorité par rapport aux hommes, et c’est la même chose pour les autres versets. Ces femmes n’arrivent pas à prouver que l’autorité de l’homme sur sa femme, le droit de la battre, la soumission de la femme à son mari, l’héritage de la femme, la polygamie, inscrites dans les textes coraniques ne sont pas des inégalités. Leurs réinterprétations sont des tentatives vaines de faire dire aux textes ce qu’ils ne disent pas. Leur discours n’arrive à convaincre les musulmans. Ainsi, les femmes musulmanes qui veulent s’émanciper sont prises en quelque sorte au piège. Car si elles ne peuvent réclamer que ce qui est reconnu par l’islam et si les réinterprétations des féministes ne sont pas convaincantes, beaucoup ne voient pas d’autre issue que d’accepter les règles qui les discriminent.
Le “féminisme islamique” a donc beaucoup affaibli le combat des femmes pour leur droits dans le monde musulman. Aujourd’hui, les femmes musulmanes ne se battent plus ou très timidement pour qu’elles aient les mêmes droits que les hommes. Même quand elles sont universitaires et instruites, elles acceptent d’être soumises et inférieures, le premier signe de leur infériorité étant le voilement de leur tête. Porter le voile, c’est affirmer sa soumission à la charia et se soumettre à la charia, c’est accepter ses règles. En tout cas, c’est ce que leur rappelleront ceux qui veulent les maintenir en situation d’infériorité.
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Huitième question : Vous avez récemment écrit que « le voile ne peut pas être une liberté pour les femmes ». Pouvez-vous nous éclairer sur ce propos ?
Razika Adnani : L’idée du voile comme une pratique qui dépend du libre choix de la femme est née en Occident. Conscients de sa valeur dans les sociétés occidentales et cela sur le plan social, politique et moral, les islamistes occidentaux ont repris ce concept de liberté pour faire accepter le voile et l’imposer dans les sociétés occidentales. Le discours religieux ne dit jamais aux femmes musulmanes « vous êtes libres de porter ou pas le voile » mais « vous êtes obligées de le porter parce que vous avez un corps de femme et c’est Dieu qui vous l’ordonne ». La morale islamique est fondée sur le principe de l’obéissance qui est à l’opposé de celui de la liberté.
Aujourd’hui, l’idée du voile comme liberté pour les femmes commence à avoir de l’écho y compris dans le monde musulman. En France, le voile comme liberté est défendu par des intellectuels et des politiques au moment où des femmes iraniennes se font massacrer parce qu’elles refusent de porter le voile.
Le voile ne peut pas être une liberté pour les femmes. Dans toute son histoire, il leur a été imposé comme signe de leur infériorité et pour leur rappeler que leur féminité posait problème. Le voile n’est pas non plus une liberté pour le corps. Il l’opprime, notamment le voile intégral qui es une torture et une prison pour le corps. Il ne voit pas le soleil, ne ressent pas le vent et ne connait pas la légèreté du mouvement.
Neuvième question : Entre pression familiale et pression sociale, quel message souhaitez-vous délivrer à ces jeunes femmes musulmanes françaises parfois tiraillées ?
Razika Adnani : Je leur dirais : ne jamais accepter d’être considérées comme des êtres inférieurs, ne jamais faire de concessions à propos de leur dignité humaine et ne jamais accepter de ne pas avoir les mêmes droits juridiques et sociaux que l’homme. J’insiste sur le critère de droits juridiques et sociaux car beaucoup de musulmans, pour contourner le principe de l’égalité, évoquent une égalité spirituelle ou devant Dieu. Concernant celles qui vivent en Occident, elles doivent tirer profit de ce que la société française leur offre comme droit de vivre dignement et librement.
Dixième question : Comment réagissez aux événement qui se déroulent en Iran ? Feu de paille ou révolution ?
Razika Adnani : Avant tout je dois dire combien je suis touchée, affectée par la violence que le régime iranien utilise contre les femmes, tout simplement parce qu’elles veulent être libres et dignes, et j’admire au plus haut point ces femmes qui s’opposent aux mollahs en brûlant leur voile. Quel courage !! Effectivement, il y a une probabilité que les choses changent et c’est ce que je souhaite pour l’Iran. Cependant, toutes les révoltes que les sociétés musulmanes ont connues telles que l’Algérie, la Tunisie et la Syrie, n’ont pas libéré ces sociétés du conservatisme et de l’emprise du passé. Bien au contraire comme on le constate notamment dans le domaine juridique, ce qui montre que les islamistes arrivent à chaque mouvement à s’imposer un peu plus. Je voudrais souligner la présence des femmes voilées dans ces manifestations. Sont-elles aussi nombreuses que les non-voilées ? Difficile à dire, mais ces femmes voilées vont jouer un rôle qui ne sera pas en faveur du mouvement de libération des femmes. Que signifie avoir la tête voilée ? Comme je viens de le dire, une femme voilée affirme sa soumission à la charia qui est fondée sur le principe de l’inégalité entre les hommes et les femmes. Il est paradoxal de croire qu’une femme qui porte sur sa tête le signe de sa soumission à lacharia puisse lutter contre les discriminations imposées par les législateurs au nom de la charia.
Razika Adnani est une philosophe, islamologue et conférencière franco-algérienne. Elle est membre du Conseil d’Orientation de la Fondation de l’Islam de France. Elle est engagée pour une réforme de l’islam, tournée vers l’avenir, qui est aujourd’hui nécessaire plus que jamais. Pour elle toute lutte contre l’islamisme et le fondamentalisme dans le monde musulman ou en Occident n’est que du bricolage si elle n’est pas accompagnée d’une réforme réelle et véritable de l’islam.
La référence à l’islam dans les constitutions des trois pays du Maghreb : Intervention de Razika Adnani lors des 6èmes Rencontres internationales géopolitiques de Trouville-sur-Mer- Intervention de Razika Adnani