Razika Adnani “Frapper d’obsolescence certains versets du Coran? Les musulmans l’ont déjà fait !”
Razika Adnani soutient la proposition, émise par les 300 signataires d’une tribune contre l’antisémitisme, de «frapper d’obsolescence» certains versets coraniques. Cette solution, qui a déjà été mise en place dans le passé, ne dispense pas selon elle les musulmans d’une analyse critique des textes sacrés. Le FigaroVox
Le manifeste contre l’antisémitisme signé par plusieurs personnalités politiques a suscité beaucoup de réactions, notamment dans le milieu des représentants de l’islam en France. L’un des points les plus controversés de ce manifeste réside dans la proposition des signataires de la tribune de «frapper d’obsolescence» les versets coraniques appelant à la violence. Pour certains, cette proposition émanait d’une attitude irresponsable, car on ne peut pas demander aux musulmans d’expurger le Coran ou d’en supprimer des versets. Pour d’autres, le Coran est révélé, ses versets ne peuvent être abrogés. Dans la presse arabophone, dans des pays voisins, les réactions se sont également focalisées sur le terme «obsolescence», traduit par suppression, réactions suivies de la même affirmation: aucun verset coranique ne peut être supprimé.
«Frapper d’obsolescence» des versets ne signifie pas les supprimer
Déclarer un verset obsolète, annuler ses recommandations ne signifie pas le retirer du Coran. Si on se réfère au dictionnaire Larousse, obsolescence signifie sortir de l’usage, c’est le fait de devenir obsolète. «Frapper d’obsolescence» des versets signifie donc les déclarer non applicables, car dépassés par le temps. En d’autres termes, utilisés en théologie musulmane, les déclarer abrogés mansoukh. Tous ces synonymes ne désignent en aucun cas la suppression. Il est important, dans de telles circonstances, de rappeler que dans l’histoire de l’islam, l’abrogation a été pratiquée. Les juristes et les commentateurs ont recouru au principe de l’abrogé manssoukh et de l’abrogeant nassikh pour surmonter certaines situations juridiques et théologiques complexes comme celle où les versets présentent, au sujet d’une même question, deux positions différentes, voire contradictoires. Ils abrogent la règle qui s’inscrit dans le verset sans supprimer ce dernier. L’exemple le plus connu est celui concernant la consommation du vin que certains textes autorisent alors que d’autres l’interdisent selon les docteurs de l’islam ; ceux qui l’interdisent, toujours selon eux, abrogent ceux qui le permettent ; le verset 106 de la sourate 2, La Vache, reconnaît l’abrogation de certains versets par d’autres.
L’abrogation a été pratiquée lorsque les recommandations ne répondaient plus aux nouvelles circonstances
L’abrogation de certaines règles inscrites dans des versets coraniques a également été pratiquée lorsque leurs recommandations ne répondaient plus aux nouvelles circonstances. Ainsi, les historiens de l’islam racontent que le deuxième calife, Omar, a annulé le châtiment de la main coupée décrété dans le verset 38 de la sourate 5, La Table, et confirmé par des hadiths du prophète ; cette histoire est souvent racontée pour vénérer la sagesse et la justesse d‘Omar. Les historiens ajoutent que le même calife a annulé la part de l’aumône destinée aux non-musulmans et instituée dans le verset 60 de la sourate 9, Le Repentir. Ils expliquent que cette part se justifiait, au départ, par la nécessité d’éviter d’avoir les non-musulmans comme ennemis. Quand la situation sociale et militaire des musulmans s’est stabilisée et que l’appui des non-musulmans n’a plus été nécessaire, Omar a jugé que cette aumône n’avait plus de raison d’être, et il a annulé cette loi, pourtant coranique. Au XXe siècle, les docteurs de l’islam, y compris les plus conservateurs comme Mohamed Qotb, ont déclaré que les versets instituant l’esclavage étaient devenus caducs et obsolètes même si certains groupes fanatiques veulent aujourd’hui revenir à cette pratique. Enfin, il suffit de se pencher sur le Coran pour réaliser que certains versets sont pratiqués et d’autres non. Consciemment ou inconsciemment, les musulmans annulent certains versets, sans les supprimer du Livre, et en maintiennent d’autres.
Consciemment ou inconsciemment, les musulmans annulent certains versets, sans les supprimer du Livre, et en maintiennent d’autres
Ce petit rappel théologique et historique est important pour réaliser que frapper d’obsolescence certains versets est une pratique reconnue en islam. Elle consiste à annuler la recommandation du verset sans supprimer ce dernier du Livre. De ce fait, la réaction des représentants de l’islam en France à la proposition du manifeste affirmant qu’on ne peut pas déclarer obsolète un verset coranique est étonnante. D’autant plus que d’une part, ils soulignent que l’abolition des incohérences de la Bible et de l’antisémitisme catholique a été faite sans supprimer une seule ligne des textes, et le manifeste tel qu’il est rédigé ne dit pas le contraire. D’autre part, ils s’inscrivent en réalité dans la même démarche lorsqu’ils affirment que la solution de la violence perpétrée au nom de l’islam consiste à contextualiser les versets. Quel est l’objectif de contextualiser une recommandation coranique si ce n’est pour la déclarer obsolète lorsque le contexte change?
La contextualisation n’est pas encore admise par la majorité des musulmans
Cependant, lorsque l’imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, assure au sujet des versets en question que «les textes sont liés à une situation ponctuelle» et qu’il faut juste les remettre dans leur contexte, son discours sous-entend que le problème ne se pose pas. Or, si beaucoup voient dans la contextualisation une ultime solution à toutes les recommandations qui ne sont plus compatibles avec les valeurs de l’époque actuelle, il est important de préciser que l’idée de contextualiser n’est pas encore admise par la majorité des musulmans. Bien qu’il soit admis que la connaissance des causes de la révélation de chaque verset est indispensable pour une bonne interprétation, ce qui revient à dire que les textes s’inscrivent dans un contexte, pour la majorité des musulmans les recommandations du Coran sont intemporelles. Rappelons la polémique suscitée en Tunisie, il y a quelques mois à peine, par le projet d’abolition de la loi sur les inégalités successorales et l’interdiction à une femme musulmane d’épouser un non-musulman.
Le lecteur ne génère pas un sens indépendamment du texte
Un autre point important soulevé par les imams est celui de la relation entre le texte et le lecteur. Ils affirment que le problème de la violence dénoncé par le manifeste ne réside pas dans les textes, mais dans leur interprétation. Il n’y a donc pas de raison d’abroger des versets, mais tout simplement de refaire leur lecture. Tareq Oubrou explique que le Coran appelle les musulmans à se battre (qital) pour se défendre et non à tuer (qatl). Tout d’abord la lecture du Coran, dans sa version originale, c’est-à-dire en langue arabe, montre que les deux termes, qatl et qital, sont utilisés. Ensuite, tout appel à la violence, quels qu’en soient les motifs dans un texte sacré, ne peut être que néfaste et cela quelle que soit la religion. Quant à l’interprétation, la présenter comme la seule responsable d’un sens dérangeant signifie que le commentaire dépend uniquement de la volonté du lecteur et de sa subjectivité ou que le lecteur en génère un sens indépendamment du texte orignal. Nier le rôle du texte revient à dire que le commentaire est un autre texte, mais pas un commentaire, et l’islam que les musulmans connaissent serait une religion qui n’a rien à voir avec les textes coraniques. Le commentaire n’est pas dissocié du texte original. S’il n’est pas tout à fait objectif, comme le prétendent les littéralistes qui ne reconnaissent pas le rôle du lecteur, il n’est pas non plus tout à fait subjectif.
Les musulmans refusent d’abroger ce que les salafs n’ont pas abrogé
La question que chacun pourra se poser: pourquoi les musulmans refusent-ils une pratique qui est pourtant reconnue par les textes et par les savants de l’islam? Il faut savoir que l’islam n’est pas seulement un texte, mais aussi une théologie. Les musulmans, pour des raisons diverses, ont entouré l’islam de concepts et de théories qui influencent le rapport qu’ils ont avec les textes et déterminent leur comportement. Parmi ces théories deux sont essentielles. Celle du Coran incréé, mise en place vers le IXe siècle, est certainement la plus importante. Ses adeptes affirment que le Coran s’inscrit en dehors du temps ; ses recommandations sont valables en tout temps et en tous lieux . La seconde théorie, très importante, elle aussi mise en place vers le IXe siècle, est celle qui considère que la vérité existe dans le savoir des anciens, les salafs.L’islam n’est pas seulement un texte, mais aussi une théologie.
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Ainsi, bien que le principe de l’abrogé et de l’abrogeant soit non seulement reconnu mais aussi pratiqué dans l’histoire de l’islam, ces deux théories ont beaucoup à voir dans le fait que les musulmans peinent à considérer comme obsolètes certaines règles et refusent d’abroger ce que les salafs n’ont pas abrogé. Il y a aussi le fait que la proposition de «frapper d’obsolescence» des versets coraniques qui appellent à la violence, en dépit du fait qu’elle est partielle et que certains des propos puissent heurter, est venue de la part de non-musulmans ; il est certain que tout regard critique sur l’islam venant de l’Occident ou de non-musulmans est vu par les musulmans comme une attaque contre l’islam. Cependant, l’islam aujourd’hui ne concerne pas uniquement les musulmans. Que les autres en parlent, dénoncent certaines pratiques, c’est leur droit de le faire ; ils sont concernés par ce qui se passe. Les musulmans ont le droit de répondre et de défendre leur religion, mais ils ont le devoir d’être honnêtes dans leurs propos, de faire parler la raison et de ne pas se laisser guider par l’affect.
«Frapper d’obsolescence»: une solution qui n’est pas suffisante
Concernant la proposition de recourir à l’obsolescence, elle est certainement une bonne solution pour remédier aux problèmes que posent aujourd’hui certaines recommandations inscrites dans les textes, mais elle n’est pas suffisante. L’absence d’une autorité reconnue par tous les musulmans et le fait que chaque musulman ait le droit de lire le Coran et de le comprendre à sa manière ne protègent pas contre le risque d’un retour à la violence et à l’obscurantisme. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire d’accompagner cette obsolescence d’une analyse critique et rationnelle des théories qui entourent l’islam. Montrer leurs failles et leurs contradictions afin de les déconstruire. C’est une condition indispensable pour permettre aux musulmans de construire une nouvelle relation avec les textes et peut-être une nouvelle conception de la religion ; celle étant à l’origine de toutes les religions. Il est surtout primordial de procéder à un travail en profondeur sur l’humain pour sensibiliser sur la nécessité de faire prévaloir la paix à la guerre, l’amour à la haine. Razika Adnani
3 Commentaire(s)
Mme il y’ a inversion : nassikh ( abrogeant) et manssoukh (abroge)
Merci. C’est rectifié.
Je soutiens toujours Mme Razika Adnani..
Que Dieu la protège Amen.