Razika Adnani : Giorgia Meloni au pays des wahhabites : L’Arabie veut-elle faire sa nahda ?


/Publié par Le Diplomate Média
La visite de la Première ministre italienne Giorgia Meloni en Arabie saoudite n’est pas passée inaperçue, non seulement pour l’accord de coopération d’une valeur d’environ 10 milliards d’euros qu’elle a signé avec le prince héritier, mais aussi pour sa façon d’assumer sa féminité. Dans une posture décontractée, elle n’a pas caché ses cheveux et a serré la main de tous les hommes au royaume des Wahhabites. Cela contraste avec les femmes, pourtant non-musulmanes, qui se précipitaient pour se couvrir la tête dès lors qu’elles se retrouvaient devant certains musulmans, une manière de dire : « Je suis une femme, je me soumets au patriarcat ». C’est le cas de Ségolène Royal qui, en déplacement en Iran en 2016, a porté le foulard et de la princesse Kate Middleton qui a couvert sa chevelure lors d’une visite d’un centre musulman où un homme avait refusé de lui serrer la main.
Cependant, cet événement politique hautement important au pays des wahhabites ne peut pas s’expliquer uniquement par la personnalité de Giorgia Meloni, mais également par la politique de l’héritier du trône saoudien Mohammed ben Salmane appelé MBS. Depuis son arrivée au pouvoir, il multiplie les décisions pour libérer son pays du conservatisme wahhabite sclérosé et dépassé afin de lui garantir une place dans le monde de demain. C’est la raison pour laquelle « l’image » de Meloni au pays des wahhabites est différente de celle de la ministre des Affaires étrangères allemande Annalena Baerbock en Syrie, où le nouveau dirigeant du pays, al-Joulani, a refusé de lui serrer la main. Bien qu’il porte un costume, par peur que son pays soit isolé et son pouvoir rejeté notamment par l’Occident, al-Joulani ou Ahmed al-Charaa exprime une pratique intégriste de l’islam où toutes les frontières entre religion et politique sont abolies. La preuve en est que son premier discours politique comme nouveau chef du pays, c’est dans la mosquée des Omayyades qu’il l’a donné excluant de facto une partie de la population de la vie politique, les femmes et les minorités religieuses
L’Arabie et la Syrie, renversement de la situation
Qui aurait imaginé un tel renversement de la situation lorsque la Syrie, en 1948, a voté, avec 7 autres pays musulmans, la Déclaration universelle des droits de l’homme, alors que l’Arabie saoudite avait refusé de la voter ? Qui l’aurait pensé lorsqu’en 1930, la Syrie a reconnu la liberté absolue de croyance dans sa Constitution et a déclaré que tous les citoyens étaient égaux devant la loi, à l’exception évidemment de l’égalité entre les hommes et les femmes, alors que l’Arabie s’opposait à l’abolition de l’esclavage. Lorsque cette pratique a été abolie en Turquie, en Tunisie et en Algérie, une fatwa a été lancée à la Mecque, en Arabie, en 1855 affirmant que l’abolition de l’esclavage était contraire à l’islam, même si l’Arabie a fini par abolir cette pratique dans les années 1960. Quand les pays musulmans adoptaient notamment au début du XXᵉ siècle le système constitutionnel pour moderniser l’organisation de l’État et entamaient une sécularisation du système juridique, l’Arabie déclarait que sa seule Constitution était le Coran et la tradition du prophète. C’est le cas encore aujourd’hui dans sa Loi fondamentale adoptée en 1992.
L’Arabie veut faire sa nahda
Ainsi, lorsque le monde musulman entama au XIXᵉ siècle son processus de modernisation, appelé la nahda, pour moderniser la société, la culture et la politique, l’Arabie choisit non seulement de rester en dehors de cette nahda, mais aussi de la combattre avec beaucoup d’énergie pour effacer ses acquis en usant de son idéologie wahhabite et de ses dollars pétroliers. Aujourd’hui, c’est l’Arabie qui veut faire sa nahda et rattraper son retard au moment oùla Syrie tourne la page de la nahda. Même si ce processus de retour à la période d’avant la nahda, et plus précisément dans les domaines des libertés et de l’égalité, touche presque tous les pays où l’islam est une religion majoritaire. L’Arabie porte donc une grande part de responsabilité dans l’échec du processus de modernisation des sociétés musulmanes et dans la montée du conservatisme et de l’islamisme radical. MBS lui-même a reconnu que son pays avait diffusé le wahhabisme dans tout le monde musulman. Tout comme hier le malékisme est parti de l’Arabie pour riposter contre la pensée libre, ce qui a fini par causer le déclin de la civilisation musulmane.
L’ouverture de l’Arabie sur le monde, depuis l’arrivée de MBS, et son désir de changement ne peuvent qu’être applaudis. Non seulement pour son peuple étouffé par l’obscurantisme des religieux, mais aussi parce que cela constitue une autre preuve indéniable que les musulmans peuvent changer s’ils ont la volonté de le faire, ce qui est très important.
Cependant, quelles que soient les réformes sociales et politiques, elles demeureront fragiles et toujours menacées sans un travail au sein de l’islam qui aboutira à une « réforme véritable » de cette religion. D’ailleurs l’échec de la nahda au milieu du XXe siècle est dû au fait qu’elle n’a pas pu réformer l’islam, ce qui était pourtant un de ses projets. Les modernistes qui voulaient une réforme réelle de l’islam étaient très peu nombreux d’une part, et, d’autre part, l’idée de la réforme de l’islam a très vite été récupérée par les conservateurs qui ont appelé à une réforme salafiste de l’islam ayant comme objectif, non pas de construire du nouveau en islam, mais de retrouver celui des premiers musulmans.
Le problème, c’est que MBS qui veut libérer son pays du wahhabisme salafiste austère souligne constamment son attachement à l’islam du prophète et des quatre premiers califes. Ainsi, lui aussi veut une réforme salafiste de l’islam qui consiste à retrouver celui des premiers musulmans. Or, la réforme salafiste qui est tournée vers le passé n’est pas celle dont l’islam et les musulmans ont besoin. Une grande partie des règles de la charia qui posent problème remontent à la période prophétique et l’imbrication du politique et du religieux a été consolidée par les premiers califes. Les musulmans ont besoin d’une réforme qui soit orientée vers l’avenir et qui les libère de l’emprise psychologique et épistémologique du passé, de sa conception de la religion et de ses valeurs sociales et morales.
En conclusion, la modernisation que MBS veut pour son pays ne fait pas des wahhabites de gentils piétistes apolitiques comme le prétend Florence Bergeaud-Blackler dans son ouvrage « Le frérisme et ses réseaux ». C’est même le wahhabisme qui a soutenu financièrement la Confrérie des Frères musulmans et lui a permis de s’imposer avec beaucoup de force dans le monde entier. Certes, en 2014, l’Arabie saoudite a cessé de financer la Confrérie des Frères musulmans qu’elle a déclaré être un mouvement terroriste. Cela ne change rien au fait que le wahhabisme est une doctrine islamiste qui s’oppose à toute séparation entre le politique et le religieux. D’autre part, le wahhabisme qatari continue de soutenir les Frères musulmans.
Sans une capacité de la part des musulmans de regarder leur religion avec un regard critique, condition de toute réforme véritable de l’islam, l’histoire de la nahda qui a échoué face à l’islam salafiste et conservateur qu‘elle n’a pas pu réformer se répétera. Cette histoire dans laquelle des universitaires en France ont joué un rôle important en utilisant le terme islamisme pour désigner l’islam politique tout en précisant qu’il était distinct de l’islam. Ils ont ainsi mis l’islam à l’abri de tout esprit citrique et par conséquent de toute possibilité de le réformer, ce qui était la position des conservateurs musulmans qui, eux aussi, ont déclaré que les problèmes qui se posaient n’étaient pas dû à l’islam, mais seulement aux musulmans.
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