Razika Adnani “LA RESPONSABILITÉ FINANCIÈRE DE LA FEMME : Une réalité qui s’impose”
Par Razika Adnani
Article publié par le quotidien algérien Liberté
Au fil du ramadhan, le 23 août 2010
Comment être musulman et appartenir à son temps et à son milieu ? Cette question très pertinente par son actualité et son importance concerne non seulement les musulmans d’Europe et des Amériques, mais aussi tous les musulmans du reste du monde.
Les sociétés changent et évoluent et les musulmans du XXIe siècle ne sont plus les musulmans du VIIe siècle.
L’idée
de reformer certaines lois pour avoir une législation en accord avec la
réalité est admise par une grande majorité des musulmans. Au XVIIIe
siècle, l’Indo-Pakistanais, Shah Wali Allah Dihlawi, mort en 1762,
disait déjà que « les musulmans ne peuvent pas agir comme un adulte qui
prend un médicament prescrit à un enfant ou qui utilise un médicament
d’hier pour une maladie d’aujourd’hui ».Il était convaincu de la
dimension progressiste que doit avoir l’Islam.
Cependant, aucune
évolution législative ne peut se faire avant d’admettre au préalable la
mutation de la société, sans la masquer ni la maquiller. C’est la
condition de toute recherche scientifique sociale et juridique.
Parmi
les lois qui ne s’accordent plus avec la réalité sociale de beaucoup de
pays musulmans, on trouve régulièrement la loi sur les inégalités du
partage successoral. Pour la justifier, les savants utilisent toujours
le même argument : la femme n’est pas financièrement responsable ; elle a
le droit de garder son argent pour elle seule. L’homme est le seul
responsable financier de la famille : sa femme et ses enfants mais aussi
ses parents et ses frères et sœurs s’ils sont dans le besoin.
Dans
notre pays comme dans beaucoup d’autres dans le monde, cette
justification semble pourtant appartenir à un autre âge. Dans le nouveau
contexte socioéconomique, la femme n’est plus en marge du monde du
travail. Dans les villes et les campagnes, elle se bat, seule ou aux
côtés de son mari, pour subvenir aux besoins de sa famille. L’image de
la femme, surtout de la mère, qui ne dépense son argent que pour
satisfaire ses besoins personnels, est désormais du domaine de
l’imaginaire et de l’irréel.
Ce nouveau contexte pousse l’homme, qui
veut de plus en plus ne s’occuper que de sa femme et ses enfants, à
considérer ce devoir financier, élargi aux autres membres de la famille
comme une contrainte, voire une injustice. Cela oblige la femme, la sœur
mais aussi la fille, à se prendre en charge et à prendre ses enfants en
charge en cas de divorce ou de veuvage. Le législateur algérien,
imprégné de ce nouveau contexte, reconnaît dans l’article 77 du code de
la famille de 2005, la responsabilité financière de la femme envers ses
enfants et même envers ses parents.
Dans l’article 76, il déclare
qu’en cas d’incapacité du père, cette responsabilité incombe à la mère.
Aucune mention de la responsabilité de l’oncle envers les enfants de sa
sœur, ni du grand- père envers les enfants de sa fille comme c’était le
cas dans la société traditionnelle. Cependant, ce même code maintient
les inégalités successorales justifiées toujours par la
non-responsabilité financière de la femme.
Dans un hadith très
souvent cité, le Prophète (Qsssl) dit : « On épouse une femme pour
quatre raisons : pour son argent, pour sa classe sociale, pour sa beauté
et pour sa religion ; choisis plutôt celle qui est pieuse ». D’après ce
hadith, le Prophète (Qsssl), même s’il insiste sur le critère
religieux, explique que les biens de la femme et sa richesse sont des
considérations importantes dans le choix de celle qu’on épouse.
Ce
que confirme Ibn El Katir qui nous rapporte les circonstances de la
révélation du verset 11sourate Les femmes : « Pour vos enfants, Allah
vous recommande pour le garçon, une part égale à celles de deux filles »
. Selon lui, ce verset est une réponse à la plainte déposée par la
femme de Saâd Ibn El Rabia contre son beau-frère qui avait pris tous les
biens de son mari tué dans la bataille Ouhoud sans rien laisser à ses
filles. La femme en question, selon Ibn El Katir dit au Prophète
(qsssl) : « Personne ne les épousera si elles n’ont pas de biens ». Cela
conduit à poser la question suivante : si la femme ne contribue pas par
ses biens à la prise en charge de sa famille, quel intérêt l’homme
a-t-il à choisir une femme riche ? Épouser une femme riche ou pauvre
serait pareil si la femme gardait ses biens pour elle seule et la
famille n’en bénéficiait pas.
Le Prophète (qsssl) n’aurait pas
désigné les biens de la femme comme critère de mariage si ceux-ci ne
contribuaient pas au confort de la famille. Lui-même était dans cette
situation lorsqu’il était l’époux de Khadidja qui dépensait son argent
pour lui et pour leur famille.
En conclusion, si les juristes et les savants musulmans ferment les yeux pour ne pas voir la réalité, c’est dans le seul souci de justifier le partage inégal de la succession entre la femme et l’homme.
Ne serait-il pas plus sage de revoir la lecture et la compréhension des textes sacrés plutôt que de s’accrocher à des justifications rattachées à des réalités fictives ou caduques tout simplement pour s’ en tenir à ce qui s’est toujours dit et fait ?