L’arabe, une langue pas comme les autres
Razika Adnani, philosophe et islamologue, analyse l’importance de l’arabe dans l’islam et explique pourquoi son enseignement n’est pas la solution miracle contre le « séparatisme ». Marianne
La langue arabe n’est pas une langue comme les autres. Elle est la langue du Coran, le livre sacré des musulmans : « Nous l’avons fait descendre, un Coran en [langue] arabe afin que vous raisonniez », précise le verset 2 de la sourate 12, Josef. Pour un grand nombre de musulmans, l’arabe est la langue que Dieu lui-même parle. Il appartient donc au domaine du sacré. « La langue que Dieu a choisie est l’arabe. Il a fait descendre son précieux livre (le Coran) en arabe, et en a fait la langue du dernier des prophètes », écrit Achafii (772-826) le fondateur de l’école juridique sunnite, le chafiisme, dans son ouvrage al-Rissala (le message). Voilà pourquoi beaucoup de ceux qui s’intéressent à l’origine des mots, quand ils trouvent que le mot existe dans la langue arabe, ne cherchent plus à savoir si l’arabe l’a emprunté à d’autres langues. Cela contredirait l’idée qu’elle est la langue de Dieu ou signifierait qu’elle n’est pas la seule langue de Dieu, ce que leur conscience ne peut admettre.
La langue arabe n’est pas une langue comme les autres. Elle est la langue du Coran, le livre sacré des musulmans : « Nous l’avons fait descendre, un Coran en [langue] arabe afin que vous raisonniez », précise le verset 2 de la sourate 12, Josef. Pour un grand nombre de musulmans, l’arabe est la langue que Dieu lui-même parle.
L’arabe est également la langue du prophète de l’islam. Pour les traditionalistes et les salafistes, communiquer en arabe c’est comme porter la barbe ou la gandoura, cela fait partie de la tradition du prophète et des salafs (les prédécesseurs). L’arabe est ainsi intimement lié à l’islam. Vouloir le présenter simplement comme une langue, c’est lui nier les caractéristiques que les musulmans lui revendiquent.
Pour les traditionalistes et les salafistes, communiquer en arabe c’est comme porter la barbe ou la gandoura, cela fait partie de la tradition du prophète et des salafs (les prédécesseurs).
Retour au traditionalisme
La réalité sociologique des pays du Maghreb et d’Afrique subsaharienne révèle que le désir d’apprendre ou de parler l’arabe se manifeste particulièrement depuis le retour du religieux et du traditionalisme, tout comme le port du voile. L’engouement pour son apprentissage en France s’inscrit dans ce phénomène étant donné que les musulmans de France sont traversés par les mêmes courants que le monde musulman. Ils veulent eux aussi ressembler davantage au prophète et aux Arabes, le peuple choisi par Dieu pour leur envoyer son livre.
Certes la langue arabe ne concerne pas uniquement les musulmans. Il y a des chrétiens, des juifs, des athées et des agnostiques qui l’utilisent pour communiquer et historiquement elle existait avant l’avènement de l’islam. Cependant, la majorité de ceux qui en font usage sont des musulmans. Pour l’Organisation islamique pour l’éducation, les sciences et la culture (l’ISESCO), la langue arabe porte l’identité islamique comme elle le précise à la page 40 de sa stratégie de l’action islamique culturelle à l’extérieur du monde islamique : « L’usage de la langue arabe est indispensable comme base de consolidation et de renforcement de l’identité (islamique), car c’est elle qui la “possède effectivement” parce qu’elle est la langue du Coran. »“La suprématie de la langue arabe a conduit à la supériorité ethnique des Arabes”
Dans l’histoire de l’islam, l’arabe a joui, grâce à ces caractéristiques de langue du Coran et du prophète, d’une prééminence sur les autres langues. La connaissance de cette réalité historique et sociologique est incontournable pour comprendre pourquoi beaucoup d’Amazighs, qui sont les habitants du grand Maghreb, ont abandonné leur langue d’origine, le berbère ou le tamazight, pour parler arabe. Certains ont même nié ce qu’ils étaient pour prétendre à des origines arabes, un phénomène qu’ibn Khaldûn a soulevé au XIVe siècle. Ils ont considéré que c’était plus honorable de parler l’arabe et mieux encore de se dire descendants du prophète. Il y avait un système de caste qui divisait la population entre ceux composant la classe supérieure, car se disant Arabes et descendants du prophète même quand ils parlaient le berbère, et les autres qui constituaient la classe inférieure.
Dans l’histoire de l’islam, l’arabe a joui, grâce à ces caractéristiques de langue du Coran et du prophète, d’une prééminence sur les autres langues.
Jusqu’aux années 1980, ce phénomène était très répandu au Maghreb. Bien que beaucoup veuillent aujourd’hui en finir avec cette mésestime de soi, elle n’a pas totalement disparu et est constamment ravivée par les conservateurs. « L’islam impose aux musulmans non arabes, en Asie et en Afrique, l’amour des Arabes et fait de sorte qu’ils les préfèrent au détriment de leur propre être », écrit le prédicateur égyptien al-Qaradaoui dans son ouvrage Pour un éveil lucide, page 106. À la page 107, il rapporte le texte d’un Nigérian musulman, dans lequel celui-ci aurait dit : « La spécificité de l’islam réside dans le fait qu’il englobe la langue arabe et en même temps reconnaît aux Arabes une supériorité qu’aucun autre peuple ne peut leur discuter, quelle que soit la force de leur croyance, de leur compréhension du Coran et de leur foi dans la religion musulmane. »
L’Organisation islamique pour l’éducation, les sciences et la culture (l’ISESCO), dans sa stratégie de l’action islamique culturelle à l’extérieur du monde islamique, écrit à la page 41 : « L’apprentissage de l’arabe par les enfants autochtones leur fera apprécier l’éloquence de cette langue et découvrir sa richesse culturelle. Leur intérêt pour l’arabe traduira leur estime et leur respect pour les Arabes. » Pour l’Algérien Abdel Hamid Ibn Badis (1889-1940) : « Il (Dieu) ne peut confier ce grand message qu’à une nation grande, car seules les grandes nations et les grands peuples peuvent entreprendre les grandes tâches. » La suprématie de la langue arabe a conduit à la supériorité ethnique des Arabes (les habitants de l’Arabie).
Pour l’Algérien Abdel Hamid Ibn Badis (1889-1940) : « Il (Dieu) ne peut confier ce grand message qu’à une nation grande, car seules les grandes nations et les grands peuples peuvent entreprendre les grandes tâches. »
Pérenniser un problème identitaire
Ce phénomène a eu des conséquences dramatiques sur la relation que les populations maghrébines entretiennent avec elles-mêmes et avec leur histoire. Beaucoup refusent encore aujourd’hui de parler de la période antéislamique de leur pays et ressentent de la répugnance à l’idée d’avoir des origines berbères. Ce phénomène est connu également chez les populations musulmanes subsahariennes. Proposer aux Français de confession musulmane, dont la majorité sont issus du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne, la langue et la culture arabe comme leurs seuls référents culturels c’est accentuer et pérenniser ce problème identitaire.
Le problème de la langue arabe ne s’arrête pas là, car elle n’est malheureusement plus, malgré les efforts de certains, productrice dans le domaine de la science et de la philosophie. Certes, entre les VIIIe et XIIe siècles, elle a été le vecteur d’une grande civilisation portée par tous les peuples qui ont fait partie de l’empire musulman. Cependant, elle est depuis le déclin de cette civilisation prise en otage par les fondamentalistes et dominée par le discours islamiste. Les acteurs de la Nahda, mouvement réformiste du XIXe siècle à la première moitié du XXe siècle, n’ont pas réussi à l’émanciper de la tutelle de la religion ni à lui redonner le statut d’une langue de science et de civilisation, comme ils le voulaient. La réalité de l’arabe aujourd’hui, c’est qu’il s’exprime sous le regard vigilant des religieux qui l’étouffent en écrasant la liberté de réflexion. L’état de la pensée dans les pays du sud de la Méditerranée, l’Algérie, la Tunisie et le Maroc, où l’arabisation a été accélérée après leur indépendance, est désastreux.”Les parents n’envoient pas leurs enfants à la Mosquée pour qu’ils apprennent l’arabe, mais la religion musulmane.”
En France le discours au sujet de la langue arabe est encore plus problématique.
En France le discours au sujet de la langue arabe est encore plus problématique. Pour lutter contre l’islamisme et le séparatisme islamique, le président présente comme moyen le renforcement de son apprentissage pour les enfants issus de familles musulmanes. Cela empêcherait qu’ils aillent l’apprendre à la mosquée où ils sont endoctrinés. Cependant, ce qui est considéré comme étant une solution pose un grand problème. Les parents n’envoient pas leurs enfants à la Mosquée pour qu’ils apprennent l’arabe, mais la religion musulmane. Ainsi, le renforcement de la langue arabe à l’école ne les empêchera pas de continuer à envoyer leurs enfants à la mosquée. En revanche, il réduira davantage la distance entre les jeunes Français de confession musulmane et le discours fondamentaliste et islamiste s’exprimant majoritairement en langue arabe. Cela augmentera les risques de leur radicalisation et accentuera le problème de leur intégration.
Rappeler une partie des Français à ce qu’on considère comme étant leurs origines n’est-il pas une forme de séparatisme qui n’est pas revendiqué par les individus mais voulu par l’État ? Certains évoquent 3 millions d’arabophones en France. Désigner une partie des Français comme tels n’est-il pas une façon de les distinguer de la population française et d’accentuer chez eux le sentiment de ne pas être des Français comme les autres ? Pourquoi ne seraient-ils pas des francophones puisqu’ils sont Français et pour beaucoup de deuxième et troisième génération d’émigrés ? Le sentiment de ne pas être comme les autres est le facteur principal du séparatisme.
Certains évoquent 3 millions d’arabophones en France. Désigner une partie des Français comme tels n’est-il pas une façon de les distinguer de la population française et d’accentuer chez eux le sentiment de ne pas être des Français comme les autres ?
Le renforcement de la langue arabe à l’école, présenté comme moyen pour lutter contre le radicalisme et le séparatisme, pose d’autres questions d’ordre pratique : comment procéder si aujourd’hui seulement 0,2 % de parents choisissent pour leurs enfants l’arabe comme langue vivante selon Le Parisien ? L’école va-t-elle détecter les élèves de familles considérées comme étant musulmanes, pour les orienter vers le choix de l’arabe comme langue vivante afin de garantir qu’ils n’iront pas l’apprendre à la mosquée ? Dira-t-elle à ces enfants : « Vous ne pouvez pas choisir l’anglais ou l’espagnol comme langue vivante, mais l’arabe parce que vous êtes musulmans ou d’origine maghrébine ou encore des “Arabes” » (même quand ils ne le sont pas) ? L’école de la République sera-t-elle ségrégationniste ?
Quels sont les critères qui permettront à l’État de savoir que tels ou tels parents sont musulmans et que leurs enfants doivent par conséquent apprendre l’arabe pour s’assurer qu’ils ne les enverront pas à la mosquée ? Le nom ou le pays d’origine ? Qu’en est-il de leur droit à la liberté de conscience ? Quelle sera la réaction de l’école et même de l’État vis-à-vis des parents qu’ils soupçonneront d’être musulmans, mais qui n’inscriront pas leur enfant au cours d’arabe qu’ils proposent ?”Les orienter vers davantage d’apprentissage de l’arabe et leur dire qu’ils ont la chance de parler cette langue à la maison, élargira assurément le fossé social entre eux et les autres Français”
L’État s’engage à garantir un enseignement de l’arabe à l’école de la République qui serait totalement indépendant de l’islam. Pari difficile à tenir compte tenu de la spécificité de cette langue intimement liée à l’islam et du lien psychologique que les musulmans entretiennent avec elle. Il suffit d’écouter les musulmans parler l’arabe pour se rendre compte, même quand le sujet ne concerne pas la religion, du nombre important d’expressions d’origine religieuse qui font partie de leur langage et de leurs habitudes linguistiques. À quel moment peut-on considérer que l’enseignant fait l’apologie de l’islam ou non ? Ensuite, beaucoup de ces enseignants sont formés, recrutés et rémunérés par des pays musulmans dont la culture ne reconnaît pas les valeurs de la République alors qu’inculquer ces valeurs aux élèves est nécessaire pour lutter contre le séparatisme et le radicalisme.
Sauf si le renforcement de l’apprentissage de la langue arabe ne s’inscrit plus dans cet objectif, mais tout simplement parce que c’est “une chance de parler cette langue” comme l’a exprimé le président Macron, ce qui pose un autre problème. Si les Français d’origine étrangère ont moins de possibilités d’accéder aux grandes écoles, les orienter vers davantage d’apprentissage de l’arabe et leur dire qu’ils ont la chance de parler cette langue à la maison, élargira assurément le fossé social entre eux et les autres Français. Les subtilités de la langue française nécessitent une pratique quotidienne pour les maîtriser.
Si les Français d’origine étrangère ont moins de possibilités d’accéder aux grandes écoles, les orienter vers davantage d’apprentissage de l’arabe et leur dire qu’ils ont la chance de parler cette langue à la maison, élargira assurément le fossé social entre eux et les autres Français. Les subtilités de la langue française nécessitent une pratique quotidienne pour les maîtriser.
Razika Adnani
1 Commentaire(s)
ان تعلم اللغه العربیه لیس تشبها بالعرب بل هو رغبة فی فهم وادراک معاني االقرأن الکریم,االله سبحانه لیس مثلنا ابدا ,وهو لا یحتاج الی لغه لیفهم عباده ومهم کانت لغاتهم ولهجاتهم وحتی لو کانوا بکما فهو یسمعهم ویفهمهم .هو سبحانه خلق السمع والفهم والبصر.