LE MARIAGE TEMPORAIRE Que disent les coutumes, la loi et la religion?
Par Razika Adnani
Article publié par le quotidien algérien Liberté
Le 29 Mars 2012
Un débat est lancé ces derniers jours, principalement en Tunisie, sur le mariage temporaire que certains préfèrent appeler “mariage coutumier”. Quels sont les aspects de cette union temporaire ? Peut-on la qualifier réellement de mariage coutumier ou de mariage tout court ?
Le
mariage est une union contractuelle entre un homme et une femme (1), un
engagement dont le but est de constituer de façon durable un cadre de
vie commun aux parents et aux enfants. Il a pris, au cours de l’histoire
des sociétés, diverses formes et a été organisé selon des règles qui
ont évolué en même temps que le mariage lui-même. Le souci était à
chaque fois de trouver la meilleure manière de conclure cette union afin
de garantir les intérêts sociaux et juridiques attendus.
Dans la
société romaine antique, par exemple, c’étaient les intérêts politiques
et économiques du pater qu’on cherchait à préserver par l’union du
mariage. Dans les sociétés traditionnelles au Maghreb, l’union
matrimoniale avait pour but de garantir les intérêts sociaux et
économiques de la famille. L’intérêt des deux époux et des enfants n’est
devenu le but qu’avec l’évolution des mentalités et des valeurs
morales. Comme c’est le cas aujourd’hui dans les sociétés actuelles où
prédomine le cadre familial qui permet à l’enfant de vivre et de grandir
d’une manière stable et équilibrée, même si l’intérêt de la famille
n’est pas tout à fait négligeable.
Dans les sociétés maghrébines
traditionnelles, le mariage était coutumier, car il était célébré devant
les représentants de la famille, du village ou de la tribu, garants du
respect des coutumes sociales. Le statut social et juridique des époux
et des enfants était établi selon les coutumes et les traditions. Les
époux vivaient au sein de la grande famille, qui veillait au bon
déroulement de la relation entre eux et à la préservation des intérêts
des enfants et de la famille.
En cas de discorde, les époux
n’avaient pas besoin d’aller devant les juges pour les questions de
divorce ou de garde d’enfants ; tout se réglait au sein de la famille,
selon les coutumes en vigueur. Dans ce type de mariage, la
responsabilité de l’époux et de l’épouse, établie selon les coutumes
familiales, était suffisante au maintien de la structure familiale et
sociale.
Cependant, l’évolution économique, sociale, morale et
politique de ces sociétés a montré les limites de la tradition et a
poussé donc à la consécration du mariage comme acte civil administratif.
Parmi les aspects de cette évolution :
– L’apparition de l’état et
de ses multiples fonctions administratives, qui a entraîné la nécessité
d’un document comme preuve valable du mariage et d’une loi applicable à
tous de manière égale.
– L’apparition de nouveaux liens de mariage
contractés à l’extérieur de la famille, du village ou de la tribu. Cette
exogamie (mariages contractés à l’extérieur du clan familial) a fait
que les coutumes ne peuvent plus assumer leur rôle d’organisatrices des
liens familiaux.
– La montée des individualismes faisant que les
jeunes ne veulent plus être soumis à l’autorité parentale ou plus
largement familiale.
– Le refus de certains maris et pères d’assumer
leurs responsabilités sociale et juridique, montrant que l’intention
comme critère de stabilité est insuffisante pour garantir les intérêts
des différentes parties de cette union de mariage.
Selon les
résultats d’une étude consacrée à la prise en charge des enfants
assistés de Mme Badra Mimouni, chercheur et enseignante à la faculté des
sciences sociales des l’université d’Oran, les trois-quarts de ces
enfants sont issus de mariage coutumier où l’acte de mariage n’est pas
écrit (3).
Le mariage moderne s’est donc imposé et est célébré devant
un officier d’état civil qui enregistre le contrat de mariage
contracté. Les deux époux sont responsables devant la loi, et les
litiges sont réglés selon la loi qui détermine les droits et les devoirs
de chacun des époux ainsi que ceux des enfants.
En ce qui concerne
la célébration religieuse qui consiste en la récitation de la Fatiha,
elle est nécessaire et indispensable dans le mariage traditionnel ainsi
que dans le mariage moderne. C’est elle qui donne au mariage, selon le
rite musulman, sa légitimité religieuse. Cependant, il n’est pas
suffisant de réciter la Fatiha pour contracter une union de mariage. Il
faut aussi qu’il y ait une intention de vivre ensemble, de former une
famille, d’assumer sa responsabilité d’époux ou d’épouse ou de père ou
de mère. Responsabilité qui permet à la famille de se construire et à
ses membres de vivre dans la stabilité. Le mariage peut certes connaître
l’échec et les époux peuvent se séparer, mais au moment de leur mariage
leur intention exprimée et affichée n’est pas de contracter une union
intentionnellement limitée dans le temps par la volonté de l’un, de
l’autre ou des deux.
Selon le code de la famille algérien, “le
mariage est un contrat consensuel passé entre un homme et une femme dans
les formes légales. Il a, entre autres buts, vocation de fonder une
famille basée sur l’affection, la mansuétude et l’entraide, de protéger
moralement les deux conjoints et de préserver les liens de famille” (4).
Dans le mariage temporaire qui est revendiqué aujourd’hui dans
certains milieux universitaires, l’homme et la femme s’unissent pour une
période temporaire limitée dans le temps. Elle peut varier d’une heure à
une journée ou une année… Son but est la jouissance corporelle, comme
c’est indiqué par son appellation “mariage de jouissance”, et le gain
matériel, car elle est toujours contractée contre une somme d’argent.
Aucune responsabilité sociale ou juridique des deux époux n’est engagée.
L’union se termine par l’expiration de la période sur laquelle ils se
sont mis d’accord. Cette union n’exige pas la présence des parents.
Donc,
les conditions du mariage ne sont pas incluses dans l’union temporaire,
ce qui va à l’encontre du sens du terme mariage lui-même où l’intention
de fonder une famille et d’assumer sa responsabilité sont les
caractéristiques essentielles.
L’expression “mariage temporaire”
est, ainsi, elle-même fausse. De la même façon que l’utilisation de
l’appellation “mariage coutumier” pour désigner cette union temporaire
de plaisir n’est pas juste, car le mariage coutumier ou “orfi” de nos
grands-parents n’a jamais été ni temporaire ni contracté en cachette.
Quelle est la raison qui pousse certaines personnes aujourd’hui à
revendiquer cette union temporaire ? Il est clair que l’argument des
moyens financiers et matériels présenté par certaines personnes n’est
pas valide, étant donné que l’officier d’état civil n’exige, pour
enregistrer le mariage, aucune dot ni festivité quelconque. Les époux
peuvent donc, sans aucune contrainte, enregistrer leur mariage, le
célébrer religieusement et rentrer chez eux. C’est donc uniquement
l’absence de l’intention de fonder une famille et d’assumer sa
responsabilité qui empêche d’enregistrer civilement l’union. Certains
justifient le mariage temporaire en avançant l’argument de la religion.
Que dit la religion au sujet du mariage ? En religion, le mariage est
une union basée sur l’amour, la tendresse et la bonté, procurant à la
femme et à l’homme la tranquillité de l’âme, comme nous le comprenons
dans le verset 23 de sourate Er-Roum : “Et parmi Ses signes Il a créé de
vous, pour vous, des épouses pour que vous viviez en tranquillité avec
elles et Il a mis entre vous de l’affection et de la bonté. Il y a en
cela des preuves pour des gens qui réfléchissent.” Réfléchissons alors !
Comment peut-on considérer comme mariage religieux “charÏ” l’union
temporaire basée sur l’argent et la jouissance corporelle ? Est-ce que
la jouissance et l’argent comme uniques buts de l’union peuvent aboutir à
la tranquillité de l’âme (sakina) dont parle le Coran ? Comment un
couple peut-il atteindre cette tranquillité de l’esprit s’il s’unit pour
une heure, une journée ou un mois… ? Aussi, la religion est censée
faire prévaloir l’âme sur le corps, préserver les droits des plus
faibles et moraliser la société comme le dit le Prophète (sssl) :
“Certes, je n’ai été envoyé que pour parfaire les bonnes mœurs.” En
revanche, l’argent et la jouissance corporelle font prévaloir le corps
sur l’âme, négligent les intérêts des plus faibles, les enfants en
particulier, et favorisent l’immoralité. Si l’union temporaire est un
mariage, sa fin est obligatoirement et logiquement un divorce. Comment
peut-on banaliser le divorce de cette manière, alors qu’il est “l’acte
licite le plus détesté par Dieu” comme le dit le Prophète (sssl). Si, en
islam, le divorce est une chose possible, il ne doit se produire qu’en
dernier recours. La tentative de réconciliation entre les deux époux est
recommandée, comme nous le comprenons dans le verset 35 de la sourate
Les Femmes : “Si vous craignez le désaccord entre les deux [époux],
envoyez alors un arbitre de sa famille à lui, et un arbitre de sa
famille à elle. Si les deux veulent la réconciliation, Allah rétablira
l’entente entre eux. Allah est certes, Omniscient et Parfaitement
Connaisseur.” (5) Alors que la règle dans ledit mariage temporaire est
justement de divorcer. Selon El-Razi dans son Et-Tafsir El-Kabir,
l’union qui a comme but la jouissance “moutâa” n’est pas un mariage au
sens du mariage, car il n’y a pas d’héritage entre les deux partenaires,
alors qu’en islam l’épouse hérite de son époux et l’époux hérite de son
épouse, comme nous le comprenons dans le verset 11 de la sourate Les
Femmes.
Que reste-t-il du mariage dans cette relation temporaire où
aucun engagement, ni envers l’autre, ni envers soi-même, ni envers la
société n’est pris ?
Il ne reste que la relation physique comme
l’unique lien des deux partenaires. Or la relation physique, même si
elle fait partie du mariage, ne fait pas le mariage, et l’union
temporaire est donc tout simplement une relation charnelle hors mariage.
Par conséquent, la récitation de la Fatiha est une façon insidieuse de
contourner la religion qui empêche toute relation sexuelle en dehors du
mariage. Cependant, pour se défendre, les partisans du “mariage de
jouissance” présentent le verset 24 de la sourate Les Femmes : “Puis, de
même que vous jouissez d’elles, donnez-leur leur salaire, comme une
chose due”, comme preuve de sa légitimité. Il faut bien préciser que
beaucoup de versets dans le Coran parlent de l’esclavage et définissent
les règles de son organisation.
Dans ce cas, doit-on retourner à
l’ère de l’esclavage parce que le Coran ne l’a pas aboli ouvertement ?
Selon les penseurs de l’islam, le Coran n’a pas aboli l’esclavage, mais a
posé les principes moraux qui font de son abolition une nécessité et
une obligation, telle l’égalité entre les humains et la condamnation de
l’asservissement des hommes et des femmes. Dans ce cas, n’a-t-il pas
fait la même chose pour le mariage de jouissance “moutâa” répandu avant
l’islam ? La morale de l’islam et le sens du mariage, comme il est
précisé dans plusieurs versets du Coran, ne sont-ils pas des signes
menant à la nécessité de l’abolition de ce genre de mariage ? Il faut
préciser qu’en ce qui concerne la position du Prophète (sssl) sur le
mariage temporaire pratiqué en Arabie avant l’islam, les historiens sont
partagés entre ceux qui disent qu’il l’avait permis dans certaines
circonstances et ceux qui disent qu’il l’avait complètement interdit.
Par
ailleurs, Omar Ibn El-Khattab et Ali Ibn Abi Talib, les compagnons les
plus proches du Prophète (sssl), l’ont interdit. Comment les musulmans
affirment-ils, d’un côté, que les compagnons du Prophète (sssl) sont
ceux qui ont le mieux compris l’esprit de l’islam et que le devoir des
musulmans est de suivre leur chemin (6), et, de l’autre, jugent-ils
légitime ce genre d’union alors que ces mêmes compagnons l’ont
formellement interdit ?
(1) Dans certains pays cette mention “entre un homme et une femme” est supprimée et remplacée par “entre deux personnes”
(3) www.mariage-et-religion.com
(4) Article 3 du code de la famille algérien 2005
(5) Sourate Les Femmes, verset 35
(6) El-Qaradaoui, Min adjli sahwatin rachida, page 40