Les sociétés musulmanes : le retour en arrière, jusqu’où ?



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Après l’Afghanistan, la Libye, c’est au tour de l’Irak de vouloir imposer les règles de la charia les plus misogynes et les plus discriminatoires à l’égard des femmes. Chaque jour qui passe, les islamistes menacent davantage ce que les sociétés musulmanes ont réalisé au XXe siècle dans le domaine des droits et libertés et veulent les faire renoncer à ce qu’elles ont accompli dans leur marche vers la maturité humaine. Razika Adnani

Le texte en arabe

Le renoncement, jusqu’où ?

Jusqu’où ira le renoncement à la modernité ? La question mérite d’être posée vu que le renoncement aux acquis de la Nahda est constant et persistant. Demain, que restera-t-il de l’égalité et des libertés gagnées sur l’archaïsme ? Ce sont les deux valeurs que les musulmans rejettent alors qu’elles sont les fondements de la modernité. Dès le départ, la position des musulmans à leur égard a oscillé entre la réticence des modernistes et le refus catégorique des fondamentalistes et des islamistes. Les premiers voulaient une modernité qui n’aille pas, précisément dans le domaine de la famille, à l’encontre de leurs valeurs traditionnelles ; quant aux seconds, qui étaient aussi bien des religieux, des médecins, des ingénieurs ou des écrivains, ils l’ont purement et simplement diabolisée. Ainsi, le médecin algérien Ahmed Aroua ( 1926-1992) affirme que les démocraties modernes ne sont pas « superposables à l’idéal islamique, pour l’évidente raison qu’elles sont le produit d’une civilisation dominée par les valeurs matérielles [1] ». Il est étonnant que le respect des libertés individuelles et le fait de considérer que les êtres humains sont égaux en humanité et en droits soient vus comme l’expression de valeurs matérielles…

S’inquiéter au sujet de ce retour en arrière est légitime, car renoncer à la modernité signifie retourner à l’époque où le côté primitif de l’être humain l’emportait. L’époque de l’esclavage, de la dhimmitude, de l’enfermement à vie des femmes et de leur assignation à un statut inférieur humiliant. Quand il s’agit du comportement humain, la modernité n’est pas liée au temps ni assimilée au « maintenant » ou au « récent ». Elle est l’âge adulte de l’humanité. En effet, ne pense les principes de la modernité, la liberté et l’égalité, que celui qui a atteint un certain niveau de maturité, et ne les prend comme règles de son comportement individuel et social que celui qui arrive à contrôler ses instincts. Ne peut considérer l’autre comme égal à lui-même en dignité et en droits que celui qui arrive à mater son égoïsme, son désir de domination et son penchant pour la barbarie.

Jusqu’où ira le renoncement à l’évolution de notre humanité ? La question mérite d’être posée compte tenu de l’allure à laquelle a lieu le retour en arrière. Les femmes au Maghreb seront-elles à nouveau enfermées ? Auront-elles interdiction de sortir, de voyager ou même de s’instruire ? Les esclaves seront-ils vendus à nouveau sur les marchés d’Alger, de Tunis ou de Rabat ? Les châtiments corporels et la dhimmitude seront-ils rétablis ? Ces inquiétudes ne sont pas injustifiées après que Daech, les talibans et les mollahs ont pu imposer leurs pratiques et que l’Occident lui-même n’est pas épargné par le retour en arrière.

Le retour en arrière, l’Occident n’est pas épargné

Depuis Le Déclin de l’Occident d’Oswald Spengler (1880-1936), livre publié en 1918, beaucoup ont annoncé la décadence de l’Occident. Aujourd’hui, la réalité révèle de plus en plus un Occident incapable de défendre ses valeurs [2], un Occident affaibli par la guerre en Ukraine, les problèmes économiques, les nouvelles idéologies déviantes arrivant des États-Unis, la corruption, l’immigration incontrôlée, le manque d’intégration, la montée de l’islamisme, etc. Un bon exemple nous est donné avec la campagne de promotion du voile lancée en 2021 par le Conseil de l’Europe, alors qu’il constitue la pratique visible la plus opprimante et la plus discriminatoire pour les femmes. L’Occident, qui a été longtemps la locomotive dans le domaine de la protection des libertés et des droits des femmes, piétine ses propres valeurs.

Hier, le rôle de la civilisation occidentale dans l’émergence de la Nahdaet la modernisation des sociétés musulmanes a été indiscutable ; aujourd’hui, des pays pratiquant un islam très rétrograde prennent de plus en plus d’influence et imposent de plus en plus leurs normes en usant de leur puissance financière, dans les pays musulmans mais aussi en Occident. La Fédération internationale de football association (Fifa), qui a confié au Qatar l’organisation du Mondial 2022, ferme ainsi les yeux sur les discriminations des femmes exercées dans ce pays au nom de la charia ainsi que sur le non-respect des libertés individuelles. Des pays, tels que l’Iran et l’Arabie Saoudite, qui pratiquent des discriminations à l’égard des femmes siègent dans des institutions onusiennes pour la défense des droits de l’Homme. Les talibans, dès leur retour au pouvoir en Afghanistan, ont à nouveau imposé leurs règles ancestrales qui portent atteinte à la dignité humaine, sans se soucier de ce que pouvaient dire la communauté internationale ni la Commission pour les droits de l’Homme de l’ONU.

L’égalité entre tous les êtres humains, notamment entre les femmes et les hommes, est ce que la civilisation occidentale a offert de plus noble et de plus précieux à l’humanité. Aujourd’hui, des pays exportant un islam radical multiplient les efforts pour convaincre que les hommes sont par nature supérieurs aux femmes. Quand ils évoquent l’égalité, dont ils se disent les défenseurs, ils affirment que les femmes auront tous leurs droits, selon ce que la charia leur accorde et selon ce qu’elles méritent et qui correspond à leur nature, comme le précise l’article 25 de la charte de La Mecque, signée en mai 2019 par 1 200 participants, représentants de pays musulmans, tous masculins, lors d’un colloque organisé par la Ligue islamique mondiale en Arabie Saoudite. Si l’humanité renonce à l’égalité en droit et dignité de tous les êtres humains, c’est à un pan entier de son évolution vers sa maturité qu’elle renoncera.

Cependant, l’Occident n’est pas tiré vers le passé par le seul fait des islamistes, qui s’y sont, il est vrai, bien installés, mais aussi par ses propres intégrismes. En juin 2022, aux États-Unis, sous la pression de la droite chrétienne la plus conservatrice, la Cour suprême a annoncé l’annulation de l’arrêt « Roe vs Wade », qui garantissait depuis 1973 l’avortement comme un droit constitutionnel.


[1]. Ahmed Aroua, Islam et Démocratie, Éditions Maison des livres, 2003, p. 16.

[2]. Voir Razika Adnani, « Le voile : l’Occident ne sait plus défendre ses valeur », publié par Fildmédia. 19 novembre 2021, razika-adnani.com, (www.razika-adnani.com/le-voile-loccident-ne-sait-plus-defendre-ses-valeurs/).

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