Conférence inaugurale de Razika Adnani
Conférence inaugurale prononcée par RAZIKA ADNANI lors de la troisième édition des JOURNÉES INTERNATIONALES DE PHILOSOPHIE D’ALGER autour du thème : La Violence
Mesdames et Messieurs Bonjour,
…,
Les Journées Internationales de Philosophie d’Alger en sont à leur troisième édition. Elles aborderont la question de « la violence ». Pourquoi la violence ? C’est une question qui m’a beaucoup été posée ces derniers jours. Je dirais, tout d’abord, parce que la violence est une question qui a interpellé les philosophes de l’antiquité à nos jours et ensuite parce qu’elle nous interpelle nous les Algériens d’une manière particulière.
Si la violence nous interpelle encore aujourd’hui, c’est la preuve que l’être humain a encore des choses à dire à son sujet. C’est la preuve que le progrès et l’évolution de l’humanité n’ont pas pu y mettre fin ; elle continue de faire partie de l’existence humaine. Enfin, c’est la preuve que les philosophes n’ont pas pu ou su répondre efficacement aux questions qu’elle pose.
Cependant, ne pas répondre d’une manière définitive, ne pas donner une seule réponse mais ouvrir sur plusieurs voix possible ne fait-il pas partie de la nature de la philosophie ? Les philosophes n’ont-ils pas toujours souligné ce caractère spécifique de leur discipline ?
Certes, le philosophe ne défend ses idées que parce qu’il y croit totalement, mais la philosophie lui rappelle qu’il est incapable d’atteindre la vérité et surtout pas la vérité absolue. C’est la première leçon que la pratique philosophie donne et c’est celle que nous devons transmettre, car cette négativité est paradoxalement très positive. Et comme je l’ai dit dans l’argumentaire des JIPA : « en nous faisant admettre notre incapacité à atteindre la vérité absolue, la philosophie nous apprend à écouter l’autre, elle nous apprend la tolérance. »
En effet, les actes de violence les plus atroces et les plus sauvages sont commis par ceux qui pensent détenir la vérité. La philosophie comme esprit critique qui nous pousse à nous remettre en question et comme argumentation qui ne reconnaît une idée que si elle est soutenue par des preuves est le meilleur moyen pour lutter contre la violence.
Pour le philosophe Français d’origine allemande, Eric Weil, la philosophie résulte d’un choix premier entre violence et discours. Autrement dit, ne choisit le discours, c’est-à-dire la philosophie, que celui qui a renoncé à la violence. La non-violence est donc non seulement l’aboutissement de la philosophie, mais aussi son point de départ. Autrement dit, au moment où on choisit la philosophie on a déjà choisi la non-violence.
Cependant, si l’être humain a toujours été philosophe, la violence a toujours accompagné son existence. Cela veut dire qu’au moins une partie de l’humanité a choisi la violence plutôt que le discours, pour forcer l’adhésion au lieu de convaincre par l’argumentation, et que les philosophes non seulement n’ont pas tranché définitivement au sujet des questions que pose la violence, mais qu’ils ne l’ont pas toujours condamnée ou systématiquement condamnée. Certains lui ont attribué un rôle et une utilité pour la rendre acceptable, justifiable et même parfois indispensable.
Parmi ces philosophes, Hegel expliquant, dans son ouvrage : Leçons sur la philosophie de l’histoire, le rôle constructif que la violence a dans la marche de l’histoire humaine vers la réalisation de l’Esprit universel. Marx influencé par Hegel considère lui aussi que la violence des prolétaires est un moyen pour mettre fin au capitalisme et changer le monde. Jean-Paul Sartre quant à lui voit dans la prise des armes un moment irrévocable dans le développement.
Cependant, soulever la question de la violence aujourd’hui, attirer l’attention sur ce fléau, ne signifie pas que la réalité humaine est totalement sombre. L’être humain est beaucoup moins violent que ce qu’il était dans le passé. Dans certaines sociétés, il a réussi à vaincre la violence, ce n’est certainement pas parfait, mais c’est un exemple que l’humain est capable d’avoir une relation avec l’autre fondée sur le respect de l’humain et de la loi pour régler les conflits et non sur la violence. Même si cette maturité n’est pas homogène
C’est certainement aux philosophes des lumières et des droits de l’humain comme Kant que revient le mérite de conduire l’humanité vers cette maturité.
Sur ce brin d’optimisme, je donne la parole aux professeurs qui aborderont le thème de la violence sous différents angles. La diversité de ces thèmes n’empêche pas leur complémentarité. Je vous invite, vous public, à poser vos questions, qui enrichiront les débat et l’échange.
Je n’oublierai pas de rappeler que notre programme inclut les enfants et les adolescents. Trois ateliers philosophiques sont prévus pour eux.
Merci pour votre écoute. Bonnes conférences et bons débats