L’islam au Maghreb ou l’islam en France



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L’islam le plus répandu en France est l’islam le plus répandu au Maghreb et dans toute l’Afrique

L’islam est arrivé au Maghreb au VIIe siècle. Bien que l’islamisation se soit faite sur plusieurs siècles, c’est à partir de cette date que l’histoire des pays du Maghreb, les pays de la berbérité ou de l’amazighité, est intimement liée à celle du monde musulman et du monde arabe, et que l’islam influence la vie sociale, politique mais aussi cultuelle des Maghrébins. Les deux doctrines, ou les deux islams, les plus répandus au Maghreb, car l’islam est multiple sont le malékisme et le soufisme. Le malékisme, doctrine juridique fondée par le juriste Malek ibn Anas (708-796) à Médine, a fini par s’imposer vers la fin du VIIIe siècle non seulement au Maghreb mais aussi dans tout l’ouest du monde musulman. Il cohabite néanmoins avec le soufisme et cela depuis environ le XIIe siècle, période où les deux islams ont trouvé un terrain d’entente. Le soufisme a reconnu la charia comme indissociable de l’islam et le malékisme a fermé les yeux sur certaines pratiques soufies qu’il considérait comme hérétiques. Il en a même adopté certaines. Cela a donné au Maghreb un islam malékite à tendance soufie et un soufisme à tendance malékite[1]. À partir de la fin du XXe siècle, le wahhabisme s’est également répandu parmi les populations maghrébines, favorisé par le fait qu’il est fondé sur les positions épistémologiques du malékisme et sa conception de l’islam. Le malékisme a influencé pratiquement toutes autres les doctrines théologiques et juridiques de l’islam.

Le malékisme est donc une doctrine juridique et prône un islam indissociable de sa dimension juridique. Quant à sa position épistémologique, son fondateur a voulu que les textes coraniques soient d’abord la source de la connaissance dans le domaine juridique, puis les hadiths (paroles) du prophète. Si le juriste ne trouve pas de réponses à ses questions dans ces deux sources, il doit se référer aux traditions des compagnons du prophète ou aux habitudes des habitants de Médine. Selon Malek, ces habitudes reflètent fidèlement celles du prophète. Ainsi, la pensée n’intervient qu’en dernier recours et la Médine du viie siècle est un modèle de société pour tous les musulmans. La question de la pensée et de la place qu’elle doit avoir ou pas comme source de connaissance face à la révélation est fondamentale dans la pensée musulmane. C’est ce que l’analyse des plus importantes questions de la pensée musulmane m’a permis de déduire. Cette question épistémologique a beaucoup divisé les musulmans avant que ne s’impose, vers le xiiie siècle, la position de ceux pour qui la vérité est révélée et doit être transmise fidèlement.

Le sociologue et historien ibn Khaldûn (1332-1406) raconte dans sa Muqqadima que Malek ibn Anas voulait que le consensus – la troisième source juridique à laquelle participaient tous les oulémas [2] – soit limité aux Médinois [3]. Pour Malek, cette pratique exercée par les habitants de Médine n’était pas un simple consensus des oulémas, mais une imitation fidèle de la tradition prophétique [4]. Cette décision vient du fait qu’il voulait que les musulmans regardent constamment vers Médine. Il revendiquait ainsi pour les Médinois, donc pour les Arabes, une supériorité sur les autres musulmans. Cependant, derrière cet argument religieux, il y avait un motif politique. Médine n’était plus le centre du pouvoir politique après le transfert de la capitale de l’empire musulman à Damas, puis à Bagdad. Pour les Médinois, il était impératif que les musulmans continuent de regarder vers Médine et qu’elle ne perde pas son pouvoir.

Dans le domaine théologique, le malékisme a adopté vers le xe siècle l’acharisme, fondé par Abou al-Hassan al-Achari (873-935), qui prônait le littéralisme, le déterminisme et la thèse du Coran incréé. Le soufisme, lui aussi, est fondé sur des principes épistémologiques qui s’inscrivent dans la continuité de la vérité donnée ou révélée, tels que le dévoilement et la théorie des saints, ce qui n’encourage ni l’intelligence ni la pensée rationnelle. Dans le soufisme, la supériorité des Arabes est également très affirmée. La vénération de saints, qui tous prétendent avoir des liens de sang avec le prophète, autrement dit être des Arabes, est très présente.

Cette présentation de l’islam maghrébin, qu’on retrouve également en Afrique subsaharienne, donne des éléments de compréhension concernant la pratique religieuse des Maghrébins et pourquoi cette pratique a été marquée par le rigorisme comme celui des Almoravides (1042-1147) et des Almohades (1125-1212). Ibn Khaldûn décrivait les Berbères comme un peuple qui était dans une pratique exagérée de l’islam, un excès de zèle [5]. Il a également souligné la prétention de beaucoup de Berbères à avoir des origines arabes[6]. Dans mon analyse[7] de ce désir d’avoir des origines arabes répandu parmi les populations maghrébines encore aujourd’hui, j’ai établi un lien entre ce désir et l’excès de zèle soulevé par ibn Khaldûn. Les deux phénomènes révèlent un sentiment d’infériorité.  

Razika Adnani, L’impact de l’islamsur l’évolution sociale et politique des trois pays du Maghreb ( extrait), Fondapol, décembre 2022, Pa. 11 et 12


[1] Voir Razika Adnani, Islam : quel problème ? Les défis de la réforme, UPblisher, 2017 – [2] Oulémas, terme arabe qui signifie savants, utilisé dans la pensée musulmane pour désigner les spécialistes de la religion. [3]. Ibn Khaldûn, El Muqqadima. Les Prolégomènes à l’histoire universelle, trad. William Mac-Guckin de Slane, Berti Édition, 2003, p. 854. [4]. Ibid., p. 857. [5]. Ibn Khaldûn, L’Histoire des Berbères, trad. William Mac-Guckin de Slane, Berti Édition, 2003, p. 151 [6]. Ibid., p. 149 [7] Voir Razika Adnani, La nécessaire Réconciliation, UPblisher, France ,  2014

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