Promouvoir un islam séparé de la politique – Pourquoi Képel se trompe en pensant que la défaite des partis islamistes signifie la fin de l’islamisme
Pour Razika Adnani, philosophe et islamologue, la fin de l’islam politique ne peut se concevoir que si une réforme de l’organisation de l’État se met en place. JDD
La fin de l’islam politique ne pourra se faire sans la fin de l’imbrication entre le spirituel et le politique en islam. Pour cela, il faut une réforme de l’islam qui séparera l’islam de la politique.
Razika Adnani
Dans un article récemment publié, Gilles Kepel annonce le déclin de l’islamisme ou de l’islam politique en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, alors que de nombreux paramètres politiques, culturels et sociaux montrent au contraire que l’islamisme ne s’est jamais senti aussi bien. Il s’est installé en maître dans tous les pays musulmans et une bonne partie de l’Afrique et de l’Asie est de plus en plus dominée par l’islamisme fondamentaliste. En Occident, il gagne des territoires et des combats politiques, sociaux, et culturels y compris au sein des institutions : le Conseil de Europe et l’ONU.
L’école française, qui a forgé le terme islamisme, le définit comme un islam politique et le présente comme un phénomène contemporain désignant les groupes qui étaient dans l’opposition dans leur pays et qui ont utilisé l’islam, souvent dans sa version la plus conservatrice, au milieu du XXe siècle. Leur échec lorsqu’ils sont arrivés au pouvoir et leur mise à l’écart sont vus comme une preuve du déclin de l’islam politique.
Or, si l’islamisme est un « islam politique », celui-ci signifie l’imbrication de l’islam et de la politique. Autrement dit, un islam parlant politique et une politique s’exerçant au nom de l’islam, revendiquant la charia comme normes d’organisation sociale et faisant de la protection de l’islam son objectif. Des critères qui ne sont pas spécifiques aux groupes qui militent au nom de l’islam pour prendre le pouvoir en usant, pour certains, de la violence.
La définition de l’école française de l’islamisme, reprise dans le monde anglo-saxon, ne prend pas en compte l’histoire de l’islam étant donné que l’imbrication de l’islam et de la politique remonte à la période de Médine (622-632) ( Razika Adnani Islam : quel problème? Les défis de la réforme, UPblisher 2017, Afrique Orient, Maroc, 2018) et s’est poursuivie tout au long de l’histoire de l’islam et des sociétés musulmanes. Elle va également à l’encontre de la conception que les musulmans eux-mêmes se font de leur religion. Ainsi, ont-ils décidé lors des premiers siècles de l’islam après de longues discussions sur la nature de l’islam, que l’islam était indissociable de sa dimension juridique et donc politique.
Les régimes mis en place dans les pays du nord de l’Afrique et du Moyen-Orient au début et au milieu du XXe siècle, bien qu’ils aient mené sous certains aspects une politique séculière, n’ont pas dissocié la politique de l’islam ni l’islam de la politique. Ils attestent dans leur Constitution que « l’islam est la religion de l’État », ce qui est toujours en vigueur. L’Égypte, qui a écarté les Frères musulmans du pouvoir, atteste également dans sa Constitution, et cela depuis 1971, que les principes de la charia sont la source principale du droit. La Constitution tunisienne renonce en 2022 à la Déclaration des Droits de l’homme et affirme que son objectif de réaliser les « maqassid » [objectifs] de l’islam. “Elle opère le retour du religieux le plus marquant de toute l’histoire constitutionnelle des trois pays du Maghreb, y compris sur le plan terminologique” ( Razika Adnani Maghreb: l’impact de l’islam sur l’évolution sociale et politique, Fondapol, décembre 2022). La défaite des partis qui utilisent l’islam pour arriver au pouvoir n’est pas une preuve du déclin de l’islam politique, mais de l’incapacité de ces partis à gouverner.
De ce fait, même si Erdogan, qui représente le parti islamiste, perdait les élections, cela ne serait pas la fin de l’islam politique en Turquie, si une partie importante des Turcs continuaient de concevoir l’islam comme une religion qui est indissociable de l’organisation sociale et politique. La fin de l’islam politique ne pourra se faire sans la fin de l’imbrication entre le spirituel et le politique en islam. Pour cela, il faut une réforme de l’islam qui séparera l’islam de la politique, mais aussi une réforme de la politique pour une organisation de l’État où la loi est issue de la raison et non de la religion et où la prospérité de l’individu est l’objectif de l’État et non la protection de la religion ni de Dieu.
Razika Adnani
1 Commentaire(s)
merci de m’envoyer plus d’articles sur ce thème