Razika Adnani : “C’est pour consoler les hommes que les femmes sont la première cible de l’islamisme”



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Entretien accordé au Magazine Marianne. Propos recueillis par le journaliste Etienne Campion.

Dans « Sortir de l’islamisme » (Erick Bonnier), Razika Adnani, philosophe et spécialiste de l’islam, offre une analyse percutante et sans concession de l’islamisme. Elle démontre comment cible en priorité les femmes pour asseoir son emprise, tout en menaçant les libertés individuelles et la modernisation des sociétés. Comment l’islamisme s’impose-t-il et pourquoi cible-t-il davantage les femmes ? Dans Sortir de l’islamisme (Erick Bonnier), Razika Adnani, philosophe et spécialiste de l’islam, dissèque cette idéologie liberticide qui gangrène les sociétés modernes. Forte de son expérience et de son combat intellectuel, l’autrice livre une analyse implacable sur les origines, les stratégies et les impacts d’une dérive qui menace autant la liberté que l’humanité. Marianne



Question 1- De quand date la distinction islam-islamisme ? Comment la percevez-vous ?

Elle remonte au début des années 1980. Avant cette date, personne ne parlait d’islamisme comme un terme différent de l’islam. Bien au contraire, quand ce terme « islamisme » a été créé en France au XVIIᵉ siècle, c’était pour désigner la religion musulmane à la place du terme mahométisme. Ainsi, il apparaît dans les écrits de Voltaire. Autrement dit, à l’origine, le terme islamisme était l’équivalent du terme islam dans la langue arabe avant qu’il ne soit abandonné, au début du XXe siècle, au profit du terme islam. Il y a une habitude chez les Français de remplacer les termes français par les termes arabes dès lors qu’il s’agit de l’islam.

Lorsqu’au milieu du XXe siècle, certains mouvements islamistes ont commencé à s’activer dans le monde musulman pour prendre le pouvoir, les universitaires français ont alors décidé d’utiliser le terme « islamisme » pour désigner ces mouvements, mais en lui donnant cette fois-ci un autre sens celui de « l’islam politique ». Le problème, c’est qu’ils ont affirmé que cet islamisme, ou islam politique, était un phénomène contemporain qui n’était pas l’islam. Je rappelle que le terme « islamisme », comme islam politique qui est distinct de l’islam, n’était pas connu dans l’histoire de l’islam ni dans l’histoire politique des musulmans. Il est encore aujourd’hui très peu utilisé. Pour les musulmans, il n’y a pas un islam et un islamisme, mais un islam qui n’est pas dissocié de sa dimension politique. Quant aux mouvements politico-religieux qui posent problème, ils les désignent comme des musulmans extrémistes ou qui pratiquent un islam radical.

Comment perçois-je cela ? Avec beaucoup d’étonnement, étant donné que c’est une représentation de l’islamisme qui n’a aucun fondement historique ni théologique, car si on admet que l’islamisme signifie l’islam politique, l’islam est politique depuis 622, comme je l’explique dans l’ouvrage. Les mouvements polico-religieux qui veulent prendre le pouvoir au nom de l’islam ne sont pas un phénomène contemporain. Ils ont marqué l’histoire de l’islam depuis le VIIe siècle.  La représentation de l’islamisme par les universitaires français est également incorrecte sur le plan de la pure logique. En effet, logiquement, comment l’islamisme peut-il ne rien à voir avec l’islam ? Peut-on dire qu’une fleur rouge n’a rien à voir avec la fleur ? Peut-on dire que le christianisme n’a rien à voir avec la religion chrétienne ? Pour moi, c’est une grande déception de voir comment dans le pays de Gaston Bachelard, de Claude Bernard, de Durkheim et de Descartes, on sacrifie l’esprit scientifique pour des raisons politiques étant donné que cette distinction n’a pas d’autres explications que le politiquement correct.

Question 2- Vous mettez en avant le lien entre l’islamisme et la soumission des femmes. Pourquoi considérez-vous ce lien comme central dans la lutte contre l’islamisme ?

Il suffit d’observer la réalité pour déduire que l’islamisme, ou l’islam politique, commence toujours sa lutte sur le terrain des femmes. Les femmes sont la première cible de l’islamisme pour la simple raison que l’islamisme est un patriarcat et ne peut exister sans soumettre les femmes à ses règles misogynes. Cependant, l’islamisme est également un totalitarisme et, de ce fait, il n’est pas fondé uniquement sur la soumission des femmes, mais aussi sur celle des hommes. On oublie toujours de parler des hommes alors que, dans l’islamisme, eux aussi perdent leur liberté politique, sociale, religieuse et morale.

Si l’islamisme cible en premier les femmes pour les soumettre à la domination masculine, c’est pour consoler les hommes de la perte de leur liberté. Les hommes musulmans acceptent leur misère morale, sociale et politique tant qu’ils sont les maîtres des femmes. Voilà pourquoi, je considère que la lutte contre l’islamisme doit se faire sur le terrain des femmes en premier lieu. Quand les femmes n’accepteront plus de se soumettre à l’islamisme et que celui-ci ne pourra plus garantir aux hommes d’être les maîtres des femmes, les hommes n’auront plus de raison de se soumettre à l’islamisme et celui-ci disparaîtra de facto.

Question 3- Selon vous, quelles sont les principales erreurs de l’école française et anglo-saxonne dans leur analyse de l’islamisme, notamment en le coupant de ses origines théologiques et historiques ?

La plus grande erreur de l’école française, qui s’est répandue ensuite dans le monde anglo-saxon, réside dans le fait de représenter l’islamisme comme un islam politique, mais qui n’est pas l’islam, ce qui n’a aucun fondement historique ni théologique, comme je viens de le dire. C’est une erreur qui est due à une autre erreur, celle de construire sa conception de l’islamisme sur le désir de rassurer et de consoler les musulmans au sujet de leur religion. Pour cela, elle a repris la stratégie des islamistes et notamment des Frères musulmans qui ont eux aussi répété aux musulmans, pour contrer tout projet de réforme de l’islam et des sociétés musulmanes, que les problèmes qui se posaient n’étaient pas dus à l’islam, mais seulement aux musulmans qui n’ont pas respecté son message. L’école française dans sa conceptualisation du terme islamisme à partir des années 1980 met l’islam à l’abri de toute critique et le présente comme exempt de toute responsabilité quant aux problèmes qui se posent. Or, la lutte contre l’islamisme, le fondamentalisme et l’obscurantisme islamiques, en Occident et dans le monde musulman, ne peut réellement se faire si elle n’est pas menée au sein de l’islam. Pour cela, il faut une reconnaissance honnête de la responsabilité de l’islam dans les problèmes qui se posent. Ce n’est qu’en étant conscient de l’existence d’un problème qu’on cherchera à le résoudre. L’école française dans son étude de l’islamisme porte sa part de responsabilité dans la montée de ce phénomène en Occident ainsi que dans le monde musulman. Elle a été un grand soutien aux islamistes dans leur lutte pour mettre en échec le processus de modernisation des sociétés musulmanes, appelé la nahda, et pour les empêcher de s’émanciper de l’emprise du passé. 

Question 4- Pensez-vous qu’il existe une forme de dialogue possible entre les défenseurs des valeurs démocratiques et les tenants d’une vision fondamentaliste de l’islam, ou la confrontation est-elle inévitable ?

Tout dépend de ces défenseurs des valeurs démocratiques. Beaucoup aujourd’hui disent défendre l’égalité et la liberté, mais ils défendent en réalité une égalité et une liberté altérées, tels que les nouveaux adeptes du voile. L’égalité et la liberté sont altérées quand elles ne sont plus défendues pour réaliser les objectifs pour lesquelles elles ont été pensées et conçues autrement dit quand elles se retournent contre elles-mêmes. Avec les défenseurs d’une telle démocratie, corrompue, non seulement le dialogue avec les tenants d’une vision fondamentaliste de l’islam est possible, mais aussi une collaboration comme nous l’observons aujourd’hui en France et en Occident d’une manière générale.

Il peut y avoir également un simulacre de dialogue, mais qui n’en est pas un en réalité si une des parties utilise les mêmes mots, mais ne leur donne pas le même sens. Dans mon premier livre Le blocage de la raison dans la pensée musulmane, j’ai expliquécomment les musulmans conservateurs défendant la raison et affirmant que l’islam appelle à la raison, ne désignent pas en réalité par le terme raison la faculté rationnelle, mais la sagesse et le bon sens. Or, la raison comme sagesse et bon sens n’est pas celle qui est concernée par la question de « la religion et la raison » ou celle qui pose problème à la religion.

Le dialogue est un échange de paroles et d’idées entre deux ou plusieurs individus dans l’objectif de construire des ponts et de trouver des terrains d’entente. De ce fait, il ne peut pas y avoir de dialogue si, autour de la table, il y a ceux qui considèrent qu’ils détiennent la vérité divine absolue et que leur devoir est de l’imposer aux autres, ce qui est le cas des fondamentalistes musulmans.

Je pense que la confrontation est non seulement inévitable, mais nécessaire. Une confrontation qui doit se faire sur le plan intellectuel et c’est dans cet objectif que j’ai écrit ce livre.  C’est une confrontation qui ne concerne pas uniquement les fondamentalistes et les islamistes, mais aussi ceux qui en France, depuis 40 ans, répètent que l’islam politique n’a rien à voir avec l’islam. Ceux qui prétendent lutter contre l’accusation d’islamophobie, mais qui la nourrissent en réalité. Car dire aux musulmans que le problème réside uniquement dans l’islamisme et même uniquement le frérisme, qui n’a rien à voir avec l’islam, cela revient à dire que toute parole critique de l’islam n’a pas de raison d’être et ne serait motivée que par la peur ou la haine sans raison de l’islam, c’est-à-dire « l’islamophobie ».

Question 5- Quelles actions concrètes proposez-vous pour lutter efficacement contre l’islamisme, à la fois au niveau éducatif, politique et sociétal ?

Pour moi, la seule lutte efficace contre l’islamisme ou l’islam politique est celle qui est menée au sein de l’islam.  Aujourd’hui, dans tous les pays musulmans tout comme en Occident, la lutte contre l’islamisme est menée en dehors de l’islam. Moi, je suis convaincue qu’il faut la placer à l’intérieur de l’islam et c’est ce que j’ai fait dans cet ouvrage que je voulais un manuel pour toute personne ou toute personnalité politique, musulmane ou non-musulmane qui veut lutter contre l’islamisme. C’est un ouvrage qui permet à chacun, notamment aux parents, aux enseignants et aux responsables des associations sportives, de posséder l’arme intellectuelle nécessaire pour faire face à l’islamisme, car ils seront de plus en plus confrontés à des jeunes radicalisés. Toutes les autres mesures politiques ne seront que du bricolage, car elles ne pourront jamais mettre fin à l’islamisme. Si l’islam ne se sépare pas de sa dimension politique, il sera toujours un islamisme.

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2 Commentaire(s)

  1. Cicurel dit :

    Merci de m’envoyer vos entretiens
    je trouve très intéressante votre thèse selon laquelle les hommes acceptent la soumission
    car ils ont le pouvoir sur les femmes

    1. Razika Adnani dit :

      Merci à vous pour votre commentaire.

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