Razika Adnani “Des réformistes qui bloquent la réforme”
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Si parfois les réformistes musulmans ne sont pas d’accord sur les règles juridiques qu’il faut ou non modifier, ils s’entendent tous sur le fait que la réforme de l’islam ne peut se faire sans condition. Ils insistent tous sur le fait que certaines règles, certains versets ou certaines prescriptions ne peuvent être remis en cause. Depuis l’échec des premiers modernistes, quel que soit l’aspect de modernité que certains veulent donner à leur discours, ils rappellent tous et inévitablement que tout n’est pas permis à la réflexion et à la critique et que certaines interprétations ainsi que certaines règles sont au-dessus de l’idjtihad, donc de l’effort intellectuel c’est-à- dire la réflexion et le raisonnement. Or, c’est justement dans ces zones interdites à l’intelligence que réside le problème des sociétés musulmanes aujourd’hui et celui de la charia. Ce sont ces lois, mises à l’abri de la réforme, qui sont concernées par elle, car ce sont elles qui n’arrivent pas à suivre la mutation des sociétés et bloquent leur évolution. Les exclure de la réforme, revient indirectement à s’y opposer.
Certes, le Coran évoque le caractère explicite de certains textes. Il en est ainsi du verset 7 de la sourate 3, La Famille d’Imran. Cependant, nous l’avons vu, il ne définit pas le sens exact du terme explicite. Rien ne dit, ni dans ce verset ni dans d’autres, quels sont ceux qui sont explicites et ceux qui ne le sont pas. Rien ne dit, non plus dans le Coran, que les versets explicites sont ceux qui concernent le mariage, la polygamie ou le port du voile par exemple. Ce sont donc les commentateurs et les juristes qui en ont décidé ainsi, et cela depuis plus de quinze siècles. Beaucoup de ces hommes ont certainement agi avec conviction et après mûre réflexion pour définir, avec les moyens culturels et intellectuels en leur possession, ce qui était le meilleur pour leur société. Cependant, si nul ne peut contester leur travail, le reproche doit être fait aux musulmans d’en avoir fait une vérité absolue. Bienqu’ils se fondent sur des textes scripturaires, leur travail n’est qu’humain et aucun savoir humain n’est immuable ou absolu. Nous avons vu d’ailleurs que nombre de ces règles, telles qu’elles sont extraites, se contredisaient avec les textes et avec les principes de l’islam eux-mêmes….
L’exemple : la réforme de Tariq Ramadan
Autre exemple à évoquer, celui de Tariq Ramadan qui ne cesse ces dernières années, de revendiquer la nécessité de l’idjtihad et de suggérer une relecture des textes ainsi que la pratique de la critique rationnelle des règles de la charia pour un islam nouveau, notamment en Occident. Il est considéré pour beaucoup comme l’un des plus grands réformateurs contemporains. Pourtant, ses propos, eux aussi, insistent constamment et régulièrement sur les limites du changement qu’il revendique en rappelant l’immuabilité de certaines lois. Ainsi, il écrit dans son ouvrage Islam, la réforme radicale que « Les musulmans d’aujourd’hui, en Orient et en Occident, ont un besoin urgent d’un fiqh (droit et jurisprudence) contemporain, distinguant ce qui, dans les textes, est immuable, de ce qui est propre au changement »64. Il écrit dans le même contexte : « Il faut commencer par dire que l’on se doit de respecter la diversité des interprétations sauf, bien sûr, lorsque celles-ci vont à l’encontre d’une prescription islamique établie ou d’un objectif supérieur reconnu ». Donc selon lui, la relecture des textes et la diversité des interprétations sont recommandées à condition qu’elles ne remettent pas en question les prescriptions établies.
Dans son discours sur l’idjtihad et les bienfaits de la critique rationnelle, Tariq Ramadan affirme que l’erreur des musulmans consiste à considérer « la charia comme le corpus de « Lois divines », donc absolues. ». Or, en réitérant l’immuabilité de certaines lois de la charia, il commet la même erreur, car n’est immuable que ce qui est absolu ou sacré. Au sujet de l’islam de l’Occident, il tient un discours contradictoire comme s’il voulait réformer, mais sans le faire. Il évoque la possibilité d’un islam nouveau qui permettrait aux musulmans d’Europe
La réforme d’être à la fois citoyens européens et musulmans sans conflit entre ces deux identités. Il précise cependant que : « L’islam occidental est un islam fidèle aux textes du point de vue du credo, du rituel et des prescriptions, tout en faisant siennes les cultures occidentales ». Ainsi, si l’on prend en compte cette phrase très significative, ce n’est pas une réforme de l’islam qu’il préconise, puisque celui-ci restera tel quel. Il s’agit simplement de modifier le comportement des musulmans qui apprendront à vivre en Occident avec la même religion. L’islam de l’Occident ne jugera pas par exemple le port du voile comme une pratique caduque ; bien au contraire, il le maintiendra, car selon Tariq Ramadan : « Pour les femmes, la prescription porte également sur le port du voile… (et) il s’agit d’un acte de foi ».
La réforme qu’il propose se situe donc dans l’apprentissage de la femme musulmane à vivre avec son voile dans un environnement occidental. Pour lui, la différence entre l’islam d’Occident, qu’il prétend vouloir nouveau et réformé, et celui des pays musulmans serait la même que celle qui existe entre l’islam d’Afrique ou d’Inde et celui des pays arabes comme il le souligne dans son ouvrage Le Génie de l’islam : « Le processus n’est pas nouveau puisque l’on connaît l’islam indien, africain, arabe etc. »69. Il s’agit donc d’une réforme superficielle qui concerne les particularités culturelles d’un pays, mais pas l’islam lui-même. Tariq Ramadan, dans son projet, avance d’un pas et recule d’un autre. Ainsi, sa réforme radicale de l’islam n’a rien de radical.
64. Tariq Ramadan, Islam, la réforme radicale, Éditions Archipoche, 2015, p. 9. 65. Tariq Ramadan, ibid., p. 317. 66. Tariq Ramadan, Le Génie de l’islam, Éditions Presse du Châtelet, 2016, p. 155.
Extrait de l’ouvrage de Razika Adnani : Islam: quel problème? Les défis de la réforme
1 Commentaire(s)
Bravo!! Vraixment magnifique!