Razika Adnani “Le corps, le jeûne et le discours religieux”
Extrait de l’ouvrage de Razika Adnani La nécessaire réconciliation, deuxième édition, UPblisher 2017
« Pour prouver la nécessité du port du voile revient toujours la même justification : il protège la femme des agressions sexuelles car, devant le corps de la femme, l’homme est incapable de se maîtriser. Quand il l’aperçoit, il le désire obligatoirement et, s’il le désire, il ne peut que chercher à assouvir cette pulsion. Étonnante explication ! Mais ceux qui la défendent ne s’arrêtent pas là. Pour nous éclairer un peu plus et nous convaincre, ils rajoutent que cette attitude n’est pas un acte volontaire ; elle lui est dictée par son corps qui réagit automatiquement à ses exigences : si le corps veut, l’homme exécute. Cette explication présente l’homme comme un être dépourvu de toute force morale et de toute volonté qui lui permettraient de contrôler son désir sexuel et d’adapter son comportement : parce que l’homme appartient au genre humain, ce discours suscite beaucoup d’interrogations. […] Si le comportement sexuel de l’homme ne dépend pas de sa volonté, alors que la volonté est intrinsèque à la responsabilité, celui-ci ne serait donc responsable ni moralement ni juridiquement de son acte. […]
Cette justification ( du voile) , telle qu’elle est exposée, présente l’homme comme une matière sans âme ou un animal guidé par ses instincts. Il est normal qu’on s’interroge sur ce qui reste de son humanité. Nous sommes alors confrontés à un problème ontologique très classique : qu’est-ce que l’humain ? […] Pour Ibn Badja, plus connu en Occident sous le nom d’Avempace16, l’humanité d’un être se mesure au degré de maîtrise qu’il a sur son corps et au niveau de spiritualité et d’intellection qu’il a atteint. Il écrit : « tout acte humain est nécessairement un acte de choix, et, par choix, j’entends la volonté qui naît de la réflexion. »17 […]
La problématique ne s’arrête pas là. La question de l’humanité et de la responsabilité convoque celle de la morale et de la sociabilité, puisque le seul acte qui puisse être qualifié de moral ou d’immoral est accompli par celui qui dispose de la capacité à faire ou pas. Ainsi, l’homme qui ne se comporte pas en agresseur dépravé uniquement parce qu’il est séparé de l’objet de son désir n’a aucun mérite moral ou social. Quel mérite avons-nous à nous comporter conformément aux règles si toutes les conditions qui permettraient de choisir sont éliminées ? Peut-on qualifier de jeûneur, par exemple, celui qui ne mange pas parce qu’il ne trouve rien à manger ? Peut-on attribuer une quelconque moralité à celui qui ne vole pas parce qu’il n’y a rien à voler ?
L’homme qui dit : parce que je suis incapable de résister au diktat de mon désir, je te demande de cacher ton corps pour ne pas te désirer se conduit comme celui qui dit : cache ton argent, car si je le vois, il me sera impossible de ne pas te le voler ou comme celui qui croisant une autre personne dans la rue lui dit ôte-toi de mon chemin, c’est la seule façon pour moi de ne pas t’agresser. L’acte moral est, avant tout, un choix. Une question s’impose alors : si la moitié de l’humanité était réellement incapable de maîtriser les exigences de son corps, prêcher la morale serait-elle une inutile plaisanterie ?
Toute la philosophie de la religion est basée sur la maîtrise de soi, sinon comment peut-elle ordonner aux croyants de jeûner ? Le jeûne, qui est une des pratiques musulmanes les plus importantes, peut-il être possible sans la maîtrise du corps par l’esprit ? Pratiqué depuis l’Antiquité, il avait toujours la même finalité : prouver par une privation volontaire du manger et du boire la capacité de maîtriser le corps, de l’humilier même pour élever l’âme. N’est-il pas contradictoire, quand il s’agit du besoin sexuel, de raconter à ces mêmes croyants qu’ils ne sont que des esclaves de leurs corps ?
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1 Commentaire(s)
Analyse très pertinente.