Statut de l’imam en France : “Ça ne résoudra pas les problèmes que pose l’islam” ( Entretien de Razika Adnani accordé à Marianne
Propos recueillis par Constantin Gaschignard
Islamologue et philosophe franco-algérienne, Razika Adnani qualifie ces annonces de « bricolage » auprès de Marianne, et appelle de ses vœux une remise en question profonde de l’islam lui-même. Marianne
Marianne : « J’annonce qu’il y aura désormais un statut de l’imam en France », a certifié Gérald Darmanin aux représentants du FORIF, les invitant à « travailler sous six mois à [s]a création ». La définition d’un tel statut, vieille lune des gouvernements depuis la création du CFCM en 2003, est-elle concevable ?
Razika Adnani : Rien n’empêche d’avoir un statut de l’imam en France. Cependant, ce n’est pas ce statut qui résoudra les problèmes que pose l’islam en tant que religion. Même s’il s’agissait assurément d’une coïncidence de calendrier, je ne pense pas que c’est l’annonce attendue par les Français du ministre de l’Intérieur alors qu’ils ont été profondément heurtés par les propos de l’imam Mahjoubi. Cette affaire a montré que le radicalisme le plus extrémiste existe en France, et il est porté par des imams.
Pour lutter contre l’islamisme, contre l’extrémisme et le fanatisme islamiques, le travail doit se faire au sein de l’islam et il doit commencer par une prise de conscience de la part des musulmans que l’islam qui leur est proposé pose problème dans nos sociétés contemporaines : les discriminations à l’égard des femmes, le non-respect de la liberté de conscience et l’imbrication du religieux dans le politique. Seul ce travail permettra à l’islam de se réformer. J’ai toujours appelé à cette réforme de l’islam qui a comme objectif de proposer aux musulmans un islam nouveau adapté à l’époque actuelle.
Pour que ce travail se fasse et crée le changement au sein de l’islam, il faut en finir avec cette habitude de répéter que le problème n’est pas l’islam mais l’islamisme, ou que c’est juste une mauvaise compréhension de l’islam. Ce discours qui nie tout lien entre l’islam et les problèmes qu’il pose empêche toute possibilité de porter un regard critique sur lui, et de ce fait toute possibilité de réforme qui soit orientée vers l’avenir, et non celle des salafistes qui est tournée vers le passé.
Cette ébauche d’un statut de l’imam passe selon le ministre par un encadrement de la protection sociale des imams ainsi que par l’exigence d’un certain niveau linguistique et universitaire. La question de leur formation est-elle l’enjeu central, quoiqu’elle semble un vœu pieu ?
Former, c’est transmettre un savoir et des connaissances. C’est toujours important. Concernant la formation des imams, c’est sur le contenu de cette réforme qu’on doit s’interroger. Quel islam proposera-t-elle aux futurs imams ? Leur transmettra-t-elle les moyens intellectuels et les principes qui leur permettront de s’émanciper de l’islam des anciens, de leur théologie et de leur conception de la société, de l’autre, de la femme ? Si ces formations transmettent le discours religieux que tous les musulmans répètent, elles ne serviront à rien.
Il y a quelques mois, Édouard Philippe prédisait l’avènement d’un débat sur l’instauration d’une « forme de concordat » spécifique entre l’État et le culte musulman, par laquelle le premier pourrait intervenir dans les affaires du second. Quand bien même une telle rupture avec notre modèle laïque s’avérait envisageable, serait-elle pour autant souhaitable ?
Le Concordat qui vaut en Alsace-Moselle, pour des raisons historiques et politiques particulières, constitue une entorse à la laïcité. Un concordat pour l’islam serait pour les conservateurs musulmans et les islamistes une occasion rêvée de crier à un traitement discriminatoire à l’égard de leur religion. Beaucoup de musulmans y verraient une ingérence de l’État dans leur culte et les réactions pourraient se faire entendre dans tout le monde musulman. Édouard Philippe a évoqué le concordat comme moyen d’obliger l’islam à se réformer. Or, la réforme de l’islam n’est pas une question de décision politique. Il s’agit d’un travail intellectuel qui revient aux musulmans et qui ne peut émaner que d’une prise de conscience de leur part quant à la nécessité de le mener. Si cela vient de l’État, cela sera vu par les musulmans comme une intrusion dans les affaires de leur religion et une nouvelle offensive de l’Occident contre l’islam, ce qui suscitera la crispation et anéantira toute idée de changement et d’évolution, donc de réforme. Je rappelle que, en 2018, Emmanuel Macron a évoqué la réforme de l’islam qui n’était en réalité qu’une réforme de la gestion de l’islam en France, et qui n’avait donc rien à voir avec la réforme dont l’islam a besoin. On ne peut évoquer une réforme de l’islam que si l’on interroge l’islam.
« 60 % des musulmans en France sont nés en France, et c’est une religion française comme les autres ». Dans quelle mesure les imams en France se rallient-ils à cette idée ?
Cela dépend de ce qu’il veut dire par cette formule. S’il veut dire que l’islam est présent sur le territoire français, oui, l’islam est une religion française. S’il veut parler d’un islam spécifique à la France, je pense que c’est utopique. Les musulmans de France, quand il s’agit de leur religion, regardent vers les pays musulmans et il ne peut pas y avoir en France un islam réformé adapté à la République et ses valeurs s’il demeure traditionnel et archaïque dans les autres pays musulmans.
Si les musulmans veulent réformer leur religion, la débarrasser de tout ce qu’elle a d’archaïque, la libérer de la politique qui l’instrumentalise, la rendre compatible avec les valeurs de liberté, d’égalité, d’humanisme, ils peuvent le faire. Cependant, je pense que cela viendra des intellectuels plus que des imams.
Un des exemples montre que le changement est possible, celui de l’esclavage, pourtant reconnu et codifié par le Coran. Il a été aboli dans le monde musulman entre le XIXe siècle et le XXe siècle. La Tunisie a été la première à l’abolir, en 1846, avant d’être suivie par d’autres pays musulmans pendant plus d’un siècle, jusqu’à la Mauritanie en 1980. En 1855, une fatwa a été prononcée à La Mecque affirmant que l’abolition de l’esclavage était contraire à la charia. L’Arabie saoudite a fini par l’abolir en 1966 et les religieux, dans tout le monde musulman, ont fini par trouver dans le Coran ce qui a donné une légitimité à cette abolition. Je rappelle que les musulmans ont négligé beaucoup de recommandations coraniques. Il ne suffit donc pas qu’une recommandation existe dans le Coran pour qu’elle soit appliquée.
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